Côté Sud

En cette année finissante, tout le monde s’accorde à dire que Noël 2023 “c’est un peu comme notre Pâque Orthodoxe” ; en d’autres mots, un moment de Printemps. Sensation sinon renforcée par une météo clémente, surtout côté sud entre le Péloponnèse et les îles de l’Égée. “La Nativité, dans toute sa Lumière”, le répète ainsi à sa manière le pope de ce village, situé dans le Péloponnèse.

“Le Péloponnèse est un véritable condensé de Grèce”, d’après l’argumentaire des voyagistes du temps présent et c’est peut-être autant le condensé de ce qu’en ce pays si visité, tient du moment festif chaque fin d’année. C’est-à-dire, en pleine saison que l’on désigne alors comme “morte”. Et pourtant, il m’arrive parfois de faire visiter ce Péloponnèse alors apaisé aux participants hors-saison de Grèce Autrement. Ils apprécient autant que moi, cette “saison morte”.

Certes en ce moment, de nombreux restaurants et bars de l’été sont fermés, mais pas tous. Parmi les bénéficiaires de l’économie… quelque peu délirante de la haute saison en ces lieux, nombreux sont ceux qui choisissent de “passer Noël” d’après l’expression consacrée, à Athènes, ou dans la partie nord du pays entre les Météores et le Pinde. Et parfois même, en Suisse ou en Autriche, quand certaines optent sinon carrément, pour les Antipodes.

Par ce beau temps, les terrasses des cafés demeurent largement praticables en journée et l’on peut désormais flâner sur les ports et sur les places centrales, ou se perdre dans les rues pavées des vieilles bourgades, bordées de boutiques et de maisons colorées aux volets souvent fermés. Voilà donc pour le côté charmant de la saison basse.

Cependant, l’hiver… côté sud n’est plus tant que par le passé récent synonyme de vide, il y a d’abord nombre de visiteurs, car c’est l’occasion des retrouvailles pour les familles autour de Noël, c’est-à-dire par les moments cérémoniaux des messes du 24 et du 25 décembre, puis, autour de la table de fête dans l’après-midi du jour de Noël.

Nos églises ont été préparées comme de tradition, elles ont été certes remplies le jour de Noël, sauf que l’esprit disons chrétien du grand moment… n’est plus. Comme un peu partout en ce monde occidental, Grèce et Chypre donc comprises, ce qui prime tient d’abord d’un certain mode de vie. Ce qui veut dire se retrouver, sortir, faire la fête et si possible, prendre ses vacances, après une saison touristique bien remplie, même si cette dernière réalité reste tout de même à nuancer.

L’effacement des coutumes locales au profit des pratiques standardisées, alignées d’abord sur l’esprit citadin est alors de règle. Cependant, on conserve encore les kálanda, ces chants que nos rares enfants fredonnent devant les portes des maisons au 24 et au 31 décembre en l’honneur, respectivement de la Nativité et de Saint Basile, initiateur de l’Année… chaque fois il faut l’admettre, plus “nouvelle” que jamais.

Ce qui reste, ce sont tout de même les décorations des boutiques et des maisons, cependant désormais pratiquement à 100% copiées sur le reste de la planète occidentale que l’on dit donc consumériste et méta-moderne. Pourtant, comme autant de coutume, nos vœux échangés conservent quelque part de leur substance locale, d’ailleurs, toutes nos mémés s’accordent pour dire que voilà, “Noël c’est le retour de la lumière, la nuit diminue, l’hiver donc, on finira par l’avaler, rien que pour l’achever”.

Sinon en parallèle, le Péloponnèse demeure déjà cette terre de prédilection pour bon nombre parmi les pratiquants inconditionnels des camping-cars, souvent retraités. Ils sont venus, bien plus nombreux qu’avant la période du Covid et des confinements, passer l’hiver… côté sud. Ils sont Allemands, Français, Suisses, Britanniques, Belges, Néerlandais, Scandinaves et parfois Tchèques, Autrichiens ou Hongrois. Et ils sont visiblement ravis, certains pratiquent parfois même la baignade en mer, en milieu de journée sous le plus grand soleil possible.

Sans oublier les nombreux ressortissants de ces mêmes pays, encore une fois souvent retraités ayant acheté ou loué de l’immobilier en cette Grèce du sud, ceci à l’année. D’autres amoureux du pays, y passent l’hiver à bord de leurs bateaux, voiliers le plus souvent, au mouillage dans les ports et les marinas.

Puis, il y a ces ultimes touristes de l’année, peu nombreux il faut le préciser, par exemple parmi ceux optant pour les croisières à la journée, entre le Pirée et les îles du Golfe Saronique. Cette fois, ils viennent d’Asie et ils sont essentiellement Chinois. Ils y resteront d’ailleurs seulement deux heures sur place d’île en île. Temps de Noël certes… mais alors compté.

Et pendant ce temps compté des mini-croisières, sur les terrasses des cafés, les Grecs passent alors des heures, pour évoquer la pluie et surtout le beau temps. Certains font même partager depuis leurs smartphones, les images et les vidéos que leurs proches viennent de leur envoyer depuis le Tyrol… ou depuis la Thaïlande. Destination disons… potentiellement “durable”, car parmi les retraités les moins aisés, autrement-dit, la grande majorité en pays de Zeus, deux ou trois villageois d’ici s’y sont même installés, car comme on le répète toujours au café du port, “pour nous et vu nos retraites, là-bas, c’est alors Byzance”.

Ce qui tient dans un sens du… remarquable, est l’absence quasi-totale de tout sujet politique dans les discussions et quant au triste contexte international, il n’est jamais évoqué. Ni les guerres, entre l’Ukraine, l’OTAN, la Russie, Israël, la Palestine ; rien ne perce sinon, l’épiderme local. Temps de Noël ?

Ce qui souvent est au contraire évoqué, tient du changement dans les équipes et les majorités municipales ou régionales, suite aux résultats des élections municipales et régionales d’octobre dernier. La presse locale d’ailleurs met du sien, comme par exemple en Thessalie, quand le reportage revient sur les kálanda que les élèves de l’École des sous-officiers de l’Armée de terre, ont chanté au maire sortant… réélu, de la ville de Tríkala. C’est pourtant une pratique bien ancrée depuis longtemps, sans caractère, disons exceptionnel.

Dans le même ordre d’idées pratiquées, le jour de Noël, cette fois dans notre bourgade du Péloponnèse, les élus locaux issus de la nouvelle majorité qui prend ses fonctions au 2 janvier prochain, se sont empressés pour distribuer des gâteaux traditionnels ainsi que des vœux… agrémentés de promesses, distributions faite au bénéfice des policiers et des pompiers du district, et ils n’ont guère oublié au passage, les agents municipaux honorés de la sorte.

Ce qui en restait des gâteaux et sans doute des promesses, a été distribué aux clients des cafés sur les terrasses, côté port… comme autant côté sud.

Néanmoins, l’espoir en ces temps de Noël est plus que permis ; les administrés à part certes les traditionnelles faveurs, ils ont demandé aux élus que de faire pression sur l’administration régionale pour que la route côtière passant près du vieux port d’Épidaure à destination d’Athènes puisse être réparée rapidement et ainsi remise à la circulation.

Car il faut dire qu’elle a été abimée durant les violents orages du début septembre dernier et depuis, pour se rendre à Athènes ou ailleurs en Grèce continentale depuis la partie nord-est du Péloponnèse que l’on dit parfois mythiques, il faut emprunter la vieille route qui traverse la montagne, ce qui allonge le trajet d’une bonne petite heure.

Mais alors à Tríkala et dans le même ordre d’idées cette fois fortes… sous la lumière de Noël, la presse toujours locale rapporte également qu’un chien “adespote” – [αδέσποτο], littéralement en grec “l’animal qui ne vit pas sous… le pouvoir d’un maître”, a trouvé refuge sur la paille dans une crèche, parmi celles installées par les soins de la municipalité. C’est aussi de saison, surtout qu’en Thessalie, le météorologie est tout de même plus rafraîchie que dans le Péloponnèse.

Au même moment, bien plus au sud que Tríkala, dans le Péloponnèse et par exemple sur l’île de Póros, nos chats adespotes se promènent sur les ports et dans les marinas, ils chassent, ils vont… à la pêche, comme ils scrutent le retour des chalutiers, faisant au besoin la tournée des rares tavernes ouvertes en ce moment. Ou sinon, ils attendent bassement leurs croquettes, c’est comme on dit… de la vie alors bien active.

La période hivernale est plutôt rude pour tous ces animaux, mais nous ne les oublions pas… par les temps qui courent. Et quant à nos chats de maison, ils ont eu également droit à notre repas de Noël. Pour nous, c’était du port de la région du Péloponnèse, cuisiné à la manière de la Grèce du nord et de la Thessalie… pour ainsi faire honneur à un véritable condensé de Grèce et à notre manière.

Et pour ce qui est d’un… véritable condensé de la modernité, en imitation de ce qui se pratique pendant les fêtes entre Strasbourg et Prague, les municipalités du coin ont installé une patinoire, en accès libre. Les jeunes et les enfants ont très apprécié, même si trois à quatre jeunes… pratiquants de la dernière heure, ils ont fini en visite chez les médecins du coin.

D’autres jeunes pourtant, ont-ils préféré plonger en mer bien équipés en fusil harpon de chasse sous-marine, pour remonter à la surface portant quelques belles dorades royales, de deux kilos chaque une d’entre elles. Au café du port, l’une d’elles a été sitôt achetée par un Irlandais, installé en ce coin du Péloponnèse nord-est depuis près de vingt ans. “C’est pour mon Noël… revisité”, a-t-il dit en grec, car notre ami dès son arrivée, il a commencé par apprendre la langue du pays.

Noël c’est sinon quelque part ce temps qui se met… à patiner et qui si possible, il donne l’impression de se mettre à l’arrêt. Nos plages sont certes vides et cependant, chose rare, quelques voiliers de location sillonnent encore nos mers, ainsi qu’un bateau appartenant à un jeune Ukrainien, lequel visiblement vit à son bord… loin si possible des malheurs de son pays, Noël alors ou pas.

Pour à peine paraphraser les spécialistes qui depuis les sciences dites humaines se sont penchés sur la thématique du voyage en Grèce, l’image émergente aujourd’hui se résume presque ainsi. Mer, soleil et ciel bleu ; l’itinéraire type ne correspond pas à un déplacement, mais le voyage, à savoir le trajet d’un point de départ à une destination, n’est que le prélude à un séjour… géopolitique incluant à titre facultatif une ou plusieurs étapes obligées depuis le point où se déroule le séjour.

Cette image trompeuse occulte encore intentionnellement la Grèce côté nord, celle du brouillard, de la boue et de la neige que représente volontiers le cinéaste grec Theo Angelopoulos dans ses films. Peut-être bien, pas pour très longtemps.

En cette année bien finissante, et par une météo pour l’instant clémente, surtout côté sud, entre le Péloponnèse et les îles grecques, la Nativité dans toute sa Lumière vient de s’accomplir, tradition alors ou pas.

Au-delà de la mer, du soleil et du ciel, ici souvent bleu, notre itinéraire type qui ne correspond pas à un déplacement, mais alors à un voyage, impose alors ce temps de pause et de bilan avant l’inévitable passage calendaire.

Car, tout dans l’itinéraire n’est peut-être pas inscrit à l’avance. Mais au café du village sur le port, il est plutôt question de la… renommée d’un pauvre chanteur connu, décédé hélas prématurément à Thessalonique la veille de Noël et dont le deuil décrété a acquis, disons-le, une certaine valeur nationale. Sa musique… largement reconnue certes, est pourtant du genre lamentable, quand tous nos médias en ont fait d’ailleurs un plat… de fête.

Songeons sinon à Marc Aurèle et à ses textes. “Les Pensées pour moi-même” entre autres, rédigées en grec par l’empereur romain, entre 170 et 180 après Jésus-Christ, souvent pendant ses campagnes militaires. Textes étant à l’origine destinées à être détruites à la mort de son auteur. Sauf qu’elles ont dépassé le statut de simple journal intime, pour devenir un ouvrage important de la philosophie stoïcienne.

“Encore un instant, et tu ne seras plus que poussière, un squelette, un nom, et bientôt pas même un nom ; car la renommée n’est qu’un bruit et un écho qui s’évanouit. Toutes les choses qu’on recherche si ardemment dans la vie sont bien vides, bien corrompues, bien mesquines, roquets qui se mordent, enfants qui se querellent sans cesse, riant un instant pour pleurer l’instant d’après. La bonne foi et la pudeur, la justice et la vérité – Remontant vers l’Olympe ont déserté la terre”.

Sauf que la lumière est de retour comme on dit au village et que quant à nous, nous n’avons pas oublié Zóga, la chatte… en chef du port, d’ailleurs elle nous attendait.

Un moment, presque de Printemps. Noël côté sud, comme on dit !

* Photo de couverture: Temps de Noël. Sur l’ile de Póros, décembre 2023