Prémices de Printemps


En pays grec, on n’attend que le Printemps. Ses prémices apparaissent déjà, particulièrement dans la partie sud d’Hellade. Tout le monde se prépare en réalité pour basculer dans la nouvelle année, enfin la vraie.

Fête traditionnelle christianisée entre février et mars. Thessalie, années 2000

Pendant qu’à Athènes… on peine toujours à se débarrasser des stigmates de la crise de toute saison que l’on dit encore “grecque”, en ce vieux Péloponnèse on arrive presque au Printemps, déjà parce que c’est en ce moment que l’on taille les oliviers, arbre sinon divin en pleine terre sèche et caillouteuse.

Parfois, il s’agit d’une taille de reprise ou de régénération, quand elle consiste à un rabattage sévère. Nous nous sommes mis tous à la tâche, tant la main d’œuvre de jadis manque désormais en ces lieux et accessoirement, nous en avons eu pour notre bois de chauffage de cette année, voire même au-delà.

Il faut dire que jusqu’à présent, en cette partie de l’Argolide il n’a pratiquement pas neigé et le supposé grand froid n’a pas été au rendez-vous. En attendant ainsi la floraison des oliviers vers avril, on soigne alors nos arbres, tout en observant la beauté des orchidées et des autres bourgeons.

Notre bois de chauffage. Péloponnèse, février 2024

En descendant la petite montagne à bord de nos véhicules chargés de bois, nous avons marqué une pause près du rivage, franchissant alors le pont de la petite rivière du coin qui se jette en ces lieux sur la mer. En y réalisant nos photos, nous nous sommes souvenus qu’en ces lieux même un peu perdus, nos acteurs illustres et préférés de jadis s’y sont également trouvés pour les besoins du tournage d’un film, très exactement en 1968.

Parmi eux Lámbros Konstandáras, 1913-1985, qui fut un grand acteur et scénariste. Il doit sa formation théâtrale à la scène française et à l’époque où il vivait à Paris dans les années 1930, il jouait au théâtre sous le nom de Constant Darras, comme il est également apparu dans certains films français.

Dont “Remontons les Champs-Élysées”, film réalisé par Sacha Guitry et Robert Bibal, sorti en 1938. Notons que le nom de Lámbros Konstandáras ne figure pas sur le générique du film, il interprète certes un petit rôle et pourtant.

En somme… un autre Printemps, celui du cinéma d’abord européen et ensuite grec, deux décennies plus tard.

Le film de 1968 racontait l’histoire d’un capitaine à la marine marchande grecque originaire de l’île de Póros, miraculeusement sauvé du naufrage après avoir été porté disparu, quand son cargo a sombré en Océan Pacifique, et ainsi revenu au pays… incognito.

Scène du film “Kapetán fándis bastoúni”. Péloponnèse, 1968

Il découvre alors ses proches dépouiller ses biens et même, jeter à la rue sa fiancée. D’où les scènes tournées en ces lieux, entre les oliviers, le rivage et la montagne, rien que pour montrer que cette pauvre fiancée fut accueillie en attendant, par une famille… forcément nécessiteuse mais digne, vivant comme jadis, de la terre, des oliviers et de la pêche.

Printemps de jadis… Printemps de toujours !

Au même endroit. Péloponnèse, février 2024

Car rappelons-le, pour ce qui tient peut-être encore à la longue durée, notre saison du moment correspond à Anthestérion, qui fut le huitième mois du calendrier des anciens, et il durait alors 29 jours, approximativement entre le 21 janvier et le 21 février de notre calendrier… post-moderne. Son nom provient d’ailleurs de la fête des Anthestéries, littéralement en grec ancien et moderne “la floraison”, en l´honneur entre autres du dieu Dionysos. Tout est dit !

Scène du film “Kapetán fándis bastoúni”. Péloponnèse, 1968

On y célébrait les petits Mystères d’Éleusis tandis que vin occupait une place importante au cours de ces festivités. En somme, on ouvrait les tonneaux pour vérifier la qualité des vendanges d’automne, ce qui est toujours traditionnellement le cas en Grèce actuelle.

Au même endroit. Péloponnèse, février 2024

Cependant, en ces… temps morts contemporains, certains perçoivent février comme un mois superflu “que l’on devrait ôter du calendrier”. Pourtant, il s’agit d’un moment important dans le grand cycle de la vie humaine calendaire, et ce, depuis l’Antiquité. Et cela, rien que parce qu’en Grèce antique et à Rome, l’année commençait très exactement en mars.

Février, le dernier mois de l’année c’était le mois de la purification avant d’entrer dans le printemps, dans cette voie ainsi divine… qui conduit toujours les peuples de la Méditerranée vers l’été long, celui qu’il s’avère d’abord l’irremplaçable, le moment préférable de l’année dans un sens.

Il n’a pratiquement pas neigé. Argolide, janvier 2024

Dans l’ordre actuel des fêtes traditionnelles christianisées qui tombent entre février et mars, il y a l’avant-carême avec ses émouvantes psalmodies à l’église, ses journées où on y mange tantôt de la viande grillée, tantôt les fromages, puis le carnaval et le début du grand carême avant la Paque, marqué par le Lundi dit Pur, en cette année 2024 bissextile cette dernière journée tombe le 18 mars.

C’est ainsi un fait qu’autrefois, par exemple en Thessalie dont je suis originaire, cette célébration en série de divers événements et de grandes fêtes religieuses établies, maintenait une forme à part de sociabilité et de cohésion, ayant même un caractère très massif quant à la participation.

Nos fleurs. Péloponnèse, février 2024

Autrement-dit, qu’au sein d’une communauté locale, ces coutumes se sont répétées durant de nombreuses générations, à travers les procédures cérémonielles, glorifiantes, vénérées, et alors, in fine préventives de l’ordre social, puisant même leurs racines dans l’Antiquité.

Le but recherché en cette période de Printemps avant-coureur, était justement de solliciter la protection et la faveur des… puissances divines supérieures pour une vie plus sûre, ainsi que pour l’accroissement des récoltes, sans oublier le bien-être des animaux.

Il va de soi que depuis les temps anciens et jusqu’aux temps pratiquement récents, ces fêtes ont conservé bon nombre d’éléments à caractère dionysiaque, combinés et intégrés aux données d’aujourd’hui, d’après… les perceptions de l’Église chrétienne orthodoxe.

Pays de jadis. Macédoine grecque, années 1960

Et dans la Grèce actuelle, ce qui en reste dans une large mesure, tient de la soirée dite du “Jeudi des grillades”, puis le Lundi Pur, marqué par des excursions sécularisées, où notamment se déroulent les faits du carnaval.

Cependant, ici ou là et notamment dans la partie nord du pays, en Thessalie, en Macédoine grecque et en Thrace, le Lundi Pur, dès le matin, il y a ce timbre tant aimé et profondément gravé dans la mémoire collective, celui des cloches, et alors tout peut commencer pour un bout de fête alors à l’ancienne.

De nombreux groupes d’hommes masqués, pour se monter redoutables et de tous les âges, vêtus d’habits de mouton et ceints de cloches, surgissent sur la place centrale des village venus de tous les côtés, pour se retrouver ainsi tous ensemble.

Vue de l’île de Póros. Février 2024

Réunis de la sorte, ils parcourent leurs villages en reconstituant par la dérision les moments du mariage, tandis qu’en même temps, les sonneurs de cloches secouent ainsi ciel et terre jusqu’à l’épuisement.

Il s’agit depuis la nuit des temps, d’une sorte d’invocation à la terre mère et à la nature pour s’épanouir et surtout afin de porter ses fruits. Un signe avant-coureur… mais alors définitif, de l’arrivée du printemps. D’où les couples de jeunes mariés reconstitués, comme symbole de fertilité et de fécondité.

Sauf qu’en ce vieux Péloponnèse côtier… si vite rajeuni par le tourisme de masse tant attendu année après année, on ne reconstitue plus les moments du mariage et l’on n’invoque guère la terre mère pour qu’elle s’épanouisse. Un peu partout en ces lieux, à l’instar de l’île de Poros, c’est plutôt la période des travaux de rénovation des hôtels, des restaurants et des cafés.

Pays vert. Péloponnèse, février 2024

Il en est de même des sites antiques tant visités, tant aimés on dirait en dépit des foules chaque année, à l’instar d’Épidaure et toujours le cas d’Athènes… mis à part. Printemps ainsi précoce encore une fois chez nos archéologues et voilà qu’une partie du site d’Épidaure est fouillé de nouveau, d’après la presse locale d’Argolide.

Sous l’ombre… de la crise chronique. Athènes, janvier 2024

Les travaux menés à Épidaure par l’équipe de recherche de l’Université d’Athènes, ont eu encore cette année des résultats importants. Du côté de l’Asclépiion, le grand espace au centre du sanctuaire, a été débarrassé des pierres qui y étaient déposées depuis les années des grandes fouilles, entre le XIXe et les débuts du XXe siècle.

Cet espace libre, devant le temple, d’environ 1.500 mètres carrés, était en somme un élément fonctionnel clé du sanctuaire. Il pouvait accueillir les pèlerins arrivés en ces lieux afin de participer au sacrifice… sanglant d’Asclépios durant la procession festive.

Grèce… eternelle. Épidaure, Printemps 2023

Environ 350 grosses pierres ont été transférées vers un dépôt arrangé, tandis que 100 autres ont été disposées – temporairement – sur la place pour être étudiées, avant leur enlèvement. La place offre donc déjà au visiteur de la saison prochaine, son image… on dirait familière à ancienne.

Ou sinon, comme l’affirme un vieux dicton populaire grec, “même si février fait à sa guise, de toute manière, on finira par sentir l’été” Et sous un ton beaucoup plus dramatique, le poète Yórgos Séféris avait ainsi écrit ce qui suit, dans son poème “Mémoire A’”, composé en 1953 à 1954 à Chypre… qu’il a tant aimé, il y a tout de même 70 ans… Printemps alors compris.

La résurrection viendra un jour à l’aube. La rosée de cette matinée scintillera les fibrillations des laudes, comme les arbres brillent au printemps. Et à nouveau la mer sera faite… Aphrodite une nouvelle fois jaillira de la vague. Nous sommes cette graine qui périt” en traduction disons… non littéraire. [“θὰ γίνει ἀνάσταση μίαν αὐγή, πὼς λάμπουν τὴν ἄνοιξη τὰ δέντρα θὰ ροδαμίσει τοῦ ὄρθρου ἡ μαρμαρυγή, θὰ ξαναγίνει πέλαγο καὶ πάλι τὸ κύμα θὰ τινάξει τὴν Ἀφροδίτη εἴμαστε ὁ σπόρος ποὺ πεθαίνει”. “Μνήμη Α´”].

Le cousin adespote de notre Volodia. Péloponnèse… mythique par son Printemps

Mais alors chez nous déjà les prairies sont bien vertes, nos matous sont en forme, à l’instar du cousin adespote de notre Volodia bien de chez nous.

Car au pays des chats, on attend à vrai dire le Printemps… bec et alors ongles. Mimi et Hermès se portent bien, Volodia visiblement… il aime Spítha, quand tout ce vaste monde des matous se prépare pour basculer dans la nouvelle année, celle de l’été, enfin la vraie. Et nous avec !

Volodia visiblement… il aime Spítha. Péloponnèse, février 2024

* Photo de couverture: Prémices de Printemps. Péloponnèse, février 2024



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