Plein nord


Voyager, c’est pour s’étonner, saisir ce qui est encore possible d’apprendre pour y réfléchir, et ensuite s’émerveiller ! En quittant bien vite Athènes, nous sommes donc partis pour le nord du pays et sa grande région autant culturelle que naturelle, celle de la Macédoine grecque.

Vyrónia et sa gare. Macédoine grecque, septembre 2024

Car, en s’éloignant des stéréotypes en vogue sur la Grèce contemporaine, autrement-dit, celle notamment du sud et d’abord des malheureuses Cyclades, ces dernières notons-le, ayant depuis un moment déjà bouclé leur cycle dans l’étonnement, toute une échelle de l’authentique, s’offre alors à notre regard. Tel est d’ailleurs le but affiché de la Grèce Autrement.

Au-delà de l’unique quête de sens, nous concevons nos circuits sur mesure qui portent sur la rencontre avec la nature, la géographie, l’actualité, la culture et l’histoire de la Grèce contemporaine. Voire, la rencontre avec ses grands et petits malheurs, hérités du passé ou conjugués au présent, et ceci à travers le filtre de l’inévitable géopolitique du monde actuel… tant compliquée.

Le restaurant typique de la gare. Vyrónia, septembre 2024

Après le mont Olympe, porte d’entrée en quelque sorte de la Macédoine historiquement grecque, ses dieux et sa foule de randonneurs contemporains, nous avons visité entre autres, les tombes royales Macédoniennes à Aigaí, première capitale du royaume de Macédoine dont le nom moderne est Vergína.

La gare. Vyrónia, septembre 2024

Les plus importants vestiges sont le palais monumental à la somptueuse décoration de mosaïques et surtout, la nécropole sous le grand tumulus dont le musée souterrain contenant le groupe de tombes de Philippe II de Macédoine débute sa construction en 1993 pour être inauguré en 1997, désormais intégré au magnifique Musée polycentrique d’Aigaí depuis l’ouverture de ce dernier en décembre 2022.

Enfin, nous voilà après tant de parcours insolites au lac Kerkíni, en compagnie des pêcheurs et des habitants, dégustant la cuisine locale, dont une partie de la gastronomie est liée à l’élevage des buffles, parmi les derniers il faut dire encore subsistant à travers l’espace hellénique.

La gare. Vyrónia, septembre 2024

Sur le lac, la localité de Vyrónia est d’abord connue pour sa gare, car c’est dans cette gare qu’était établi l’état-major grec pendant la Deuxième Guerre balkanique, de juin à juillet 1913. Cette guerre eut pour objet le partage des gains de la Première Guerre balkanique, quand les pays des Balkans, Grèce, Serbie, Bulgarie et Monténégro, combattirent l’Empire Ottoman pour se libérer de son joug.

La Deuxième Guerre balkanique quant à elle, elle opposa la Bulgarie à ses anciens alliés, et l’enjeu fut essentiellement le contrôle final et si possible pérenne des territoires libérés, dont ceux de la Macédoine et de la Thrace occidentale.

Il convient de noter que la Macédoine historique de l’Antiquité, correspond quasi entièrement à la partie homonyme du territoire hellénique actuel, située comme on sait au nord de la Grèce. Notons également que le concept de la “Macédoine géographique” est essentiellement une construction des cartographes russes, allemands et bulgares de la fin du dix-neuvième siècle… à des fins géopolitiques. Ainsi, Skopje, la capitale du pays voisin de la “Macédoine du Nord”, pays quasi bulgarophone et dont un tiers de la population est composée d’Albanais, n’a par exemple jamais fait partie de la Macédoine historique, ni même géographique d’ailleurs, avant disons les projections cartographiques datant du milieu du dix-neuvième siècle.

Au restaurant typique de la gare. Vyrónia, septembre 2024

Bien près donc de la frontière avec la Bulgarie, plus précisément à Vyrónia, le passage des trains se fait désormais rare… sauf que la mémoire historique y demeure, espérons-le encore pour longtemps. Le bâtiment principal de la gare est à présent un restaurant typique bien à la grecque, respectueux des lieux et autant de la tradition gastronomique locale.

Et à proximité, un émouvant monument aux morts pour la patrie, rappelle tout le sens du sacrifice grec, voire du sacrifice tout court, durant les Guerres Balkaniques, la Grande Guerre, ainsi qu’au cours la Seconde Guerre mondiale, quand l’Italie de Mussolini avait défié la Grèce du Général Metaxás le 28 octobre 1940. Sans oublier les nombreux morts de la Guerre Civile des années 1944 à 1949.

Café grec. Vyrónia, septembre 2024

L’armée italienne ayant été repoussée en Albanie jusqu’en avril 1941, ce n’est que l’intervention de l’Allemagne qui a fini par imposer la volonté de l’Axe aux Grecs, en passant justement par les fortifications en ces lieux même, près du lac Kerkíni.

Rappelons que la Ligne Metaxás, autrement-dit, ses 22 ensembles de fortifications dont la plus grande est la forteresse de Roupel, s’étendant sur 155 kilomètres, fut construite le long de la frontière gréco-bulgare et consiste principalement en une succession de tunnels qui débouchent sur des postes d’observation ou des nids de mitrailleuses. Les plans de sa construction furent dressés en 1935 et les travaux commencèrent à Kerkíni même en 1936, pour prendre fin en 1940, étant donné que le déclenchement de la guerre a arrêté les travaux.

Morts pour la Patrie. Vyrónia, septembre 2024

Un ami de Tríkala, notre ville en Thessalie dont le grand-père en tant qu’ingénieur civil de la prestigieuse École Polytechnique d’Athènes, figurait parmi les concepteurs techniques de la Ligne Metaxás, se souvient toujours de ce que son aïeul lui racontait à ce propos. “Nous travaillions d’abord au nord de Kerkíni… et nos ouvriers venaient tous de la Grèce du sud. Ils avaient les yeux bandés pour ne pas voir les environs et ils ignoraient naturellement dans quelle région précise du pays ils travaillaient”. Les constructions étaient si robustes qu’elles sont toujours en place, après… avoir vaillamment résisté aux attaques de Wehrmacht en avril 1941.

Nous avons visité le Fort Istibey et son Musée militaire, lequel avec le Fort Roupel constituent deux points de référence important pour l’histoire de la Seconde Guerre mondiale en Grèce depuis l’implication de l’Allemagne sur le terrain des opérations. Installé au sein des fortifications, son musée présente une étonnante collection d’objets dont des armes individuelles de l’époque, ainsi que le moteur et d’autres pièces d’un avion de la Luftwaffe abattu par ses défenseurs.

Morts pour la Patrie. Vyrónia, septembre 2024

Et quant à la bataille même livrée à Istibey, son récit désormais connu, est à la fois court et en même temps… si grand. La garnison grecque d’Istibey était composée de 350 soldats et de 14 officiers commandés par le major Pikoulákis Xánthos.

Le major Pikoulákis Xánthos. Musée du Fort Istibey. Macédoine grecque, septembre 2024

L’attaque contre le fort a débuté le 6 avril 1941. Elle fut entreprise par le bataillon allemand d’infanterie de montagne III/85. Un violent bombardement aérien s’ensuit et simultanément, l’artillerie allemande ne parvient pas à causer de sérieux dégâts, tandis que les Stukas subissent des pertes.

Au Fort Istibey. Macédoine grecque, septembre 2024

Les canons anti-aériens d’Istibey se turent cependant après avoir abattu trois avions ennemis. Sur le terrain de l’attaque, les grenades lancées par les soldats Allemands étaient souvent renvoyées par les défenseurs des forts, avec des résultats dévastateurs pour les assaillants.

Cependant, malgré la solide défense grecque, les pénétrations des unités allemandes commençaient déjà à porter leurs fruits. Les attaquants ont alors mené un véritable “combat de proximité” afin d’aveugler, c’est-à-dire d’obstruer les petites ouvertures du front et sitôt y pénétrer… avant qu’ils ne soient décimés par les mitrailleuses grecques.

Au Fort Istibey. Macédoine grecque, septembre 2024

Les défenseurs du fort, constatant qu’ils ne pouvaient plus utiliser leurs canons depuis les hublots, se retirèrent plus profondément dans le fort et appelèrent en quelque sorte le feu d’artillerie directement sur leurs positions. Toutes les tentatives de la Luftwaffe pour faire taire l’artillerie grecque ont encore échoué. En début de soirée, lorsque l’artillerie grecque a commencé à manquer de munitions, le bataillon allemand s’est retiré pour être remplacé par la 6ème compagnie de pionniers, bénéficiant du soutien de mitrailleuses lourdes. Cette unité fraiche et spécialisée poursuit et achève alors “l’aveuglement” du fort.

Malgré la défense désespérée des Grecs, la fin… n’était qu’une question de temps, même si une première tentative allemande de prendre Istibey d’assaut s’est avérée être une idée extrêmement malheureuse. Un groupe de pionniers d’Allemands entra dans le fort, mais fut contraint de se retirer avec des pertes considérables. Les Grecs se défendirent avec acharnement jusque dans les galeries !

Au Fort Istibey. Macédoine grecque, septembre 2024

Ómiros Papadópoulos, parmi les défenseurs d’Istibey se souvient de ces moments terribles et il nous a laissé son témoignage pour la postérité, celle de l’histoire en tout cas. “Nos mitrailleuses sont retirées des couloirs, dissimulées dans le coin du couloir central et nos lumières furent éteintes. Les Allemands ont alors pénétré dans le couloir. Ils ne sont qu’à 20 mètres des mitrailleuses… Un mot se fait entendre : -Feu… En une minute, les 100 Allemands ayant osé pénétrer dans le fort gisaient dans le couloir dans une grande mare de sang, beaucoup de morts et d’autres hommes grièvement blessés, gémissant de douleurs, voilà pour le terrible spectacle.”.

Seuls huit des assaillants ont réussi à sortir du “tombeau” d’Istibey, emmenant avec eux quelques prisonniers. D’eux, le commandant de 5e division d’infanterie de montagne, le major Autrichien de la Wehrmacht Julius Ringel fut informé, d’ailleurs impressionné, que les petits groupes grecs combattant à travers les ruines avaient perdu toute communication avec leur commandement central du fort. Il n’y avait aucun espoir de se rendre, à moins que leur commandant ne l’ordonne. Ringel, étant un officier aguerri et un vétéran déjà de la Grande Guerre, avait tout compris.

Au Fort Istibey. Macédoine grecque, septembre 2024

Enfin, l’arme la plus décisive, les fumigènes, contraignent la garnison grecque à se rendre le 7 avril à 16 heures, dont les pertes totales jusqu’au 8 avril dans le secteur, furent de 66 morts et près de 100 blessés. E. Zacharákis, combattant du fort, décrit ainsi la chronique de la fin.

Le commandant du fort, accompagné de son aide de camp, sortit d’un nid de mitrailleuses détruit et rencontra le commandant allemand. Il revint bientôt au fort et donna l’ordre de la capitulation, suivant la procédure établie par les Allemands. Les officiers munis de leurs revolvers seraient les premiers à sortir par l’entrée principale du fort, suivis par leurs soldats non armés… À la sortie du fort, une grosse surprise nous attendait. Une garde d’honneur allemande s’est alignée et a présenté les armes à nos officiers. Le commandant du détachement allemand nous a félicités pour la défense du fort. Puis… nous avons été leurs prisonniers… livrés aux Bulgares”.

Morts pour la Patrie. Fort Istibey. Macédoine grecque, septembre 2024

Plus tard, après avoir subi tant de sévices, les défenseurs d’Istibey ont pu être rapatriés en Grèce… pays alors sous la triple Occupation, Allemande, Italienne et Bulgare. Les soldats actuels… gardant les lieux, ont été d’ailleurs très fiers que de nous faire visiter leur front. “Vous savez, depuis l’entrée de la Bulgarie au sein de l’Union Européenne, on nous explique que l’hostilité n’est plus de mise et que la Paix est de retour. Donc notre zone est désormais… disons calmée, vous comprenez”.

Nous avons repris le chemin du retour, une route très sinueuse à peine goudronnée en pleine forêt dense, pour retourner sur les bords du lac Kerkíni. Ses pêcheurs nous attendaient pour nous monter les oiseaux du lac, “la plus grande réserve naturelle du pays” nous disent-ils, puis pour discuter avec nous évoquant les affaires de ce bas monde… oiseux alors compris.

Sur le lac Kerkíni. Macédoine grecque, septembre 2024

La saison des visiteurs fut plutôt bonne et pourtant… à l’instar des autres campagnes du pays, la région se vide… les jeunes font alors default. Il y a moins de buffles, moins d’éleveurs, moins de pêcheurs et moins de cultivateurs. Nous ne nous rendons à Thessalonique que pour raison médicale et encore, tant la tournure de la vie… et de la mort des grandes villes désormais nous effraient. Notre paradis ici-bas déchu autour du lac Kerkíni, alors nous y tenons.

Voilà pour ce récit volontairement partiel de notre parcours en cette belle Grèce, côté nord.

Voyager, c’est certes pour s’étonner, saisir ce qui est encore possible d’apprendre pour y réfléchir, et seulement ensuite pour s’émerveiller ! La Grèce Autrement.

La Grèce… Autrement. Vyrónia, septembre 2024

* Photo de couverture: Sur le lac Kerkíni. Macédoine grecque, septembre 2024



Comment trouvez-vous cette publication ?

Cliquez sur une étoile pour la noter !

Note moyenne 0 / 5. Nombre de voix : 0

Aucun vote pour l'instant ! Soyez le premier à noter cet article.

Puisque vous avez apprécié cet article...

Suivez-nous aussi sur les réseaux sociaux !

Vraiment désolés de votre appréciation.

Améliorons ce post !

Dites-nous comment nous pouvons améliorer ce post.