Loin des îles


La Grèce loin des îles, elle tient souvent de la révélation. On se débarrasse des clichés, on oublie les foules et parfois… on s’éloigne même des séismes et d’abord du funeste vacarme du tourisme de masse. Comme par exemple en Thessalie, ma terre d’origine, qui plus est en plein hiver.

La Thessalie en hiver. Ampelákia, janvier 2025

Au pays réel thessalien on y découvre alors en ce moment la neige, le brouillard, mais autant fréquemment un grand soleil réparateur. La “grande histoire”, les “petites histoires” humaines et le calme en plus. Telle la localité d’Ampelákia, en grec “les Petites Vignes”, entre l’Olympe et la montagne de Kíssavos, à 5 km des gorges de Témpi et à 450 m. d’altitude, ce village historique mérite alors le détour.

Certes, la bourgade qui comptait près de 500 habitants en 2001 ne compte que 326 habitants en 2021. Elle fut pourtant célèbre pour sa grande coopérative d’agriculteurs, artisans, ouvriers et marchands de plus de 6.000 membres, tous engagés à des titres divers dans la production et la vente de fils de coton rouges et blancs à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe.

Au manoir Geórgios-Schwartz ou Mávros. Ampelákia, janvier 2025

Ainsi les riches demeures de l’époque sont toujours si impressionnantes, notamment le manoir de Geórgios-Schwartz ou Mávros (1738-1824), ce qui signifie “Noir” en grec, il exerça en son temps la fonction prestigieuse de gérant de la coopérative d’Ampelákia, tout comme Il fut par ailleurs le dernier gestionnaire de ce fer de lance de l’économie locale, dont le capital avait été placé à la Banque de Vienne… avant sa faillite sous Napoléon.

Ampelákia a ainsi connu une grande prospérité dans le passé. Au 18ème siècle le village était célèbre à travers toute l’Europe par la fabrication et la teinture des fibres textiles et cette prospérité s’est transformée en de belles maisons, bibliothèques, fontaines, rues bien pavées, et d’abord, elle a entraîné une quasi-autonomie… moyennant certes finances sous forme d’impôt, vis-à-vis des occupants Ottomans, lesquels n’habitaient guère la prospère bourgade.

Au manoir Geórgios-Schwartz ou Mávros. Ampelákia, janvier 2025

Une bourgade intégrée il faut dire dans l’un des plus beaux paysages de la Grèce, beau et cependant mystérieux, voire mystique depuis la plus haute antiquité. Justement, la vallée de Témpi ou de Tempé, est ce toponyme donné depuis l’Antiquité à la gorge creusée par le fleuve Pénée, entre le mont Olympe au Nord et le mont Ossa au Sud, pour s’ouvrir un passage de la plaine de Thessalie vers la mer.

Entourée de montagnes enneigées en hiver, la vallée était d’abord consacrée au culte d’Apollon. Tous les neuf ans, la procession envoyée de Delphes y venait cueillir le laurier sacré dont on couronnait les vainqueurs des Jeux pythiques : le temple du dieu était dans un vallon de la rive droite.

Montagnes enneigées en hiver. Thessalie, janvier 2025

Il y a pourtant la hantise des lieux, ce qui cependant n’a rien de très nouveau. Dans l’Antiquité d’abord, les purifications effectuées en ces endroits pour exorciser la négativité résiduaire, tous les neuf ans, avec des cérémonies auxquelles participaient principalement des enfants et des jeunes, c’est parce que Témpi, était considéré comme chargé d’une étrange énergie négative, étant donné que le monstre mythologique de Python s’y était réfugié… blessé, et il y était par la suite mis à mort, car achevé d’une blessure que lui avait alors infligée Apollon.

Apollon est d’ailleurs comme on sait le dieu de la jeunesse par excellence ! Ainsi, ses hiérarques purifièrent le lieu, pour protéger le peuple, rétablissant l’harmonie apollinienne et garantissaient la victoire sur le chaotique Python. Cependant, Python même défait se rebiffait. Son miasme se développa paraît-il alors de manière incontrôlable. Et Python avait la soif de vengeance contre tout ce qui lui rappelle Apollon : Rien n’est plus apollinien que la jeunesse. D’où la mise à mort de nombreux jeunes remontant la vallée dans le sens Sud-Nord.

Le téké de Hassan-Baba. Témpi, janvier 2025

Plus tard, les Byzantins ont nommé Témpi Lykóstomo (en grec “Gueule du loup”), tandis que les Ottomans l’appelèrent Boghaz (“le défilé”) et ils y ont construit le téké de Hassan-Baba, qui comme par hasard, fut un grand complexe monastique de l’ordre ésotérique des Bektachi, ainsi que leurs quartiers pour les derviches et les pèlerins.

Et de notre temps, depuis une trentaine d’années, trois accidents se sont produits en montant vers Tempi et aucun en descendant vers Tempi… aux nombreuses victimes, toutes hélas de jeune âge.

Comme surtout le 28 février 2023, l’accident ferroviaire dit de Larissa, entre un train de voyageurs et un train de fret, il a eu lieu près de Tempi. Il a provoqué la mort d’au moins 57 personnes et en blesse au moins 85 autres en faisant l’un des accidents ferroviaires les plus graves de Grèce et aussi parmi les plus controversés, étant donné que le train de fret transporterait de manière illicite de matières inflammables destinées à trafiquer les carburants et que le gouvernement toujours en place (février 2025), aura tout fait pour étouffer l’affaire.

Vers le monument de l’accident ferroviaire du 28 février 2023. Témpi, janvier 2025

Ce qui fait dire encore certains Grecs que voilà donc Apollon poursuivant Python depuis Delphes, où il le blesse, montant à Témpi pour s’assurer que le monstre mourrait… mais Python alors se venge de manière diachronique du jeune Apollon qui est monté jusqu’en ces lieux, tuant à l’occasion les jeunes qui montent vers Témpi…

C’est pourquoi, en 2023, seul le train qui montait devait être celui des passagers et qu’il ne devait pas croiser d’autre rame. Et les malheureux morts sont toujours des jeunes hommes qui montent vers le nord, images ainsi détestées du jeune Apollon jadis victorieux”. Grèce ainsi des mythes et des légendes…

Pays paisible. Thessalie, janvier 2025

Au-delà des mythes… comme autant de certaines réalités, la Thessalie, à l’instar de toute la Grèce du nord, est un pays paisible, beau et pour tout dire, remarquable. C’est pour cette raison que cette Grèce encore insolite est au cœur de notre démarche de découverte et de voyage via la Grèce Autrement.

Le beau pays est de ce fait brut, pour ne pas dire parfois brutal, si l’on tient compte des réalités liées aux crises économiques, comme événementielles. Je ne cache ainsi rien aux participants à mes autotours, ni par exemple l’agonie existentielle des éleveurs thessaliens, surtout après les inondations de septembre 2023, ayant entre autres touché la bourgade de la famille de ma mère, Palamás, au district régional de Kardítsa.

La grande église historique. Palamás, janvier 2025

Pourtant, la grande et belle église historique de la bourgade fut réparée et même restaurée, et l’espoir d’y reprendre quelque peu le fil de la vie disons économique, alors revit. Et sur la grande place centrale pavée de nouveau, on peut siroter son café tout en discutant avec les habitants encore sur place, si possible même… en traduction simultanée en français.

Pays grec sinon profond et autant empli d’histoire que Mycènes… mais sans trop le dire haut et fort. C’est alors une Grèce… à bas voltage certes, mais conservant bien des aspects de son caractère. Loin enfin, si loin des îles, il y subsiste encore de cette identité hellénique, autant éloignée de l’identique accablant du tourisme de masse.

Pays grec sinon profond. Thessalie, janvier 2025

Sans oublier que de visiter sous le Pinde enneigé, ces sites archéologiques oubliés, voire à peine fouillés pour le moment. Car, comme nous l’expliquent à leur manière parmi nos amis les chroniqueurs locaux, “le désintérêt du Ministère de la Culture pour notre région est sinon légendaire et autant chronique, mise à part certaines exceptions”.

Au même moment et en dépit des Météores aux nombreux visiteurs… plutôt pressés pour ne pas dire furtifs, la Thessalie ne représente qu’environ 1% des recettes du tourisme en Grèce, ceci d’après les données disponibles pour l’ensemble de la saison 2024.

La grande église historique. Palamás, janvier 2025

Au village bien entendu, nous avons été accueillis avec toute la joie possible et même imaginable. Mon cousin et son épouse ont préparé le café, puis le repas, au plat traditionnel composé de viande de porc aux poireaux et aux oignons. Il a repris sa terre, inondée il y a encore un an, mais le rendement ne sera pas à la hauteur du passé.

Puis, il a été question de la vielle maison de notre grand-père, jadis si haute pour les enfants que nous étions, avec ses deux étages et qui n’existe plus depuis près de 40 ans… modernité oblige. Nous avons d’ailleurs déjeuné dans le jardin, certes couverts, mais le beau soleil était de la partie, tout comme nos chiens ou autres chats thessaliens et fiers de l’être.

Sous le Pinde enneigé. Thessalie, janvier 2025

Et la nouveauté depuis 40 ans, c’est que l’on cultive déjà en cette Thessalie occidentale… l’olivier et que l’huile consommée sur place vient des villages bien d’en face, sous le Pinde justement.

La Grèce hors du chemin, comme hors du commun. Ou sinon, comme le faisait remarquer le regretté Michel Sivignon dans ses travaux, “la plaine de Thessalie est probablement une des régions grecques qui se sont le plus rapidement transformées depuis 1950. Une société de petits paysans propriétaires a modifié ses cultures, avec l’introduction du coton et de la betterave à sucre, en même temps que s’organisait le remembrement des terres et que progressaient irrigation, drainage et mécanisation. Cette société singulièrement mouvante, pénétrée de préoccupations commerciales est aussi touchée par l’émigration”.

En somme… la Grèce Autrement !

La Grèce Autrement. Thessalie, janvier 2025

* Photo de couverture: Sous le Pinde. Thessalie, janvier 2025



Comment trouvez-vous cette publication ?

Cliquez sur une étoile pour la noter !

Note moyenne 0 / 5. Nombre de voix : 0

Aucun vote pour l'instant ! Soyez le premier à noter cet article.

Puisque vous avez apprécié cet article...

Suivez-nous aussi sur les réseaux sociaux !

Vraiment désolés de votre appréciation.

Améliorons ce post !

Dites-nous comment nous pouvons améliorer ce post.