En Grèce des hauteurs de ces dernières années, les caprins se font de plus en plus rares, de même que les bovins. Telle est la presque nouvelle situation en Thessalie occidentale, sur le massif du Pinde comme autant en plaine. Et quant aux hommes… Terre grecque !
En plaine. Thessalie occidentale, décembre 2024
Cependant, on vient de bien loin. Déjà, comme le remarquait il y a près de 40 ans, l’infatigable chercheur de l’histoire régionale des montagnes de la Grèce Centrale, Márkos Giólias ; durant les temps antiques, le territoire de la Thessalie fut un haut lieu de l’élevage. L’environnement, le climat, le relief et même l’hydrographie favorisaient de façon multiple, autant l’élevage que l’agriculture.
Village près de Tríkala. Thessalie, décembre 2024
La Thessalie ne possédait pas seulement d’immenses pâturages pour desservir l’élevage mais aussi, d’infinies étendues pour l’essor des cultures. Il s’agit ici de l’article de Márkos Giólias, “Économie agricole et élevage en Thessalie antique”, revue TRIKALINÁ, numéro 8 – 1988, en grec, Μάρκος Α. Γκιόλιας, “Αγροτική οικονομία και κτηνοτροφία στην αρχαία Θεσσαλία”, ΤΡΙΚΑΛΙΝΑ, 8 – 1988, σ. 425.
En plaine. Thessalie occidentale, décembre 2024
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Parallèlement aux pâturages, la Thessalie possédait aussi un riche réseau hydrographique, composé de fleuves et de lacs qui réunissaient les conditions naturelles nécessaires, propices à l’essor de l’élevage. Sur ce point, les auteurs de l’Antiquité Grecque, et d’abord Hérodote ou Strabon, nous ont légué un tableau bien fidèle de cette formation fonctionnelle pour ce qui est de l’environnement humanisée de la Thessalie Antique”.
Le café… du goûter. Thessalie occidentale, décembre 2024
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Ainsi, les sources des révélations littéraires et épigraphiques, de même que les découvertes issues des fouilles archéologiques en témoignent également de la vigueur de l’élevage dans la Thessalie Antique.”
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Car, dans toutes les régions de la Thessalie, subsistait alors un élevage varié de brebis et de chèvres, de bovins, de chevaux, de porcs pour ce qui est déjà des animaux les plus communs. En même temps, la possession de bétail était la preuve parmi les plus patentes, de richesse et d’aisance sociale pour toutes les familles nobles”.
Petit… site antique. Région de Tríkala, 2024
Toutes les grandes familles nobles de la Thessalie possédaient de nombreuses terres fertiles et de grands troupeaux d’animaux, comme: les Alevades de Larissa, les Scopades de Kranona, les Echecratides de Fársala et d’autres.
Pour la garde des troupeaux les riches éleveurs occupaient des Pénestes
qui du côté social et juridique ils étaient, toute proportion gardée, comparables aux Klarotes
de Crète, aux Hilotes
de Sparte, aux Mariandynes
de l’Héraclia du Pont Euxin, et enfin aux Kyllyriens de Syracuse. Ainsi, la “Penestie” était un statut de dépendance d’esclave certes, mais sous une forme plus adoucie que celle relevant du modèle classique de l’Attique et d’autres régions.
Sous les Météores. Thessalie, 2024
D’après les sources antiques évoquées par Márkos Giólias, les villes de la Thessalie montraient naturellement dès les temps très lointains, un grand intérêt pour le développement de l’élevage. Elles protégeaient, non seulement les éleveurs de bestiaux du pays, mais aussi les étrangers possesseurs de troupeaux, en leur concédant de différents privilèges, comme: l’épinomia
autrement-dit, le droit de pâture réciproque entre deux peuples voisins, l’égtissis
droit d’acquérir des biens-fonds pour les étrangers, ou l’atéleia, l’exemption de taxes et d’impôts.
Et en ce qui concerne ces privilèges, les témoignages épigraphiques retrouvés sur le territoire de la Thessalie sont bien significatifs.
L’élevage et la fortune foncière apportaient à leurs propriétaires des revenus importants et ils allaient donc de pair. Les représentants de la noblesse sociale des villes de la Thessalie et les chefs des familles et des tribus, furent ainsi des riches éleveurs de bestiaux et des propriétaires fonciers dont les noms ont été comme ils se le devait… conservés à travers les textes des épigraphes.
Nos animaux. Thessalie, été 2024
Ceux-ci que l’on appelait Agathós, monopolisaient sinon, tous les droits politiques et les titres. Notons ici que l’élevage des chevaux a également joué un rôle très important dans la formation de la noblesse de la Thessalie. En réalité, la noblesse de ce pays a été constituée d’éleveurs de chevaux, lesquels, se sont imposés d’une manière très énergique sur l’ensemble du tissu social, au détriment même des autres éleveurs et cultivateurs, rien que par le contrôle des territoires, dont celui sur les travailleurs, un contrôle que leur offrait la mobilité découlant de l’usage de leurs chevaux.
Et bien entendu, dès les temps antiques, le climat excessivement chaud durant les étés à l’intérieur de la Thessalie, obligeait les bergers à déplacer leurs troupeaux aux pâturages dits d’été sur les hauteurs du massif du Pinde, système de transhumance autant saisonnière pratiquée en Thessalie jusqu’à quasiment nos jours.
Nos autres animaux. Thessalie, décembre 2024
En effet, les Thessaliens étaient déjà réputés pour leurs repas somptueux, réputation disons augmentée… car ils furent aux yeux des autres Grecs, ces grands mangeurs de viande. D’où ce fragment relatif, issu du poète Erífios du 3ème siècle av. J-C. qu’un siècle plus tard, avait été cité par Athénée de Naucratis.
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Pour moi, je vais prendre deux cuisiniers, même les plus habiles que je pourrai trouver dans la ville; car, lorsqu’on va traiter un Thessalien, on ne doit pas faire servir à l’Attique, étourdir précisément la faim, mais servir, avec grandeur, ce qu’il faut à chacun. En effet, les Thessaliens se traitent bien à table; c’est ce que dit aussi Erífios : – Eh, Syrus ! ce ne sont pas là les délices de Corinthe, ni Laïs, ni les mets des Thessaliens qui ont toujours bonne table, et où ma main a quelquefois pris sa part”.
Athénée de Naucratis, en grec, Ἀθήναιος Nαυκρατίτης, né à Naucratis, en Égypte, vers 170, fut un érudit et grammairien grec dont la date et le lieu de la mort restent inconnus. Il est l’auteur des Deipnosophistes, une compilation d’anecdotes et de citations d’auteurs antiques dont les œuvres souvent furent perdues, portant sur l’univers culinaire, matériel et social du banquet, ce qui en fait une source de premier plan. La citation de la phrase du poète Erífios, provient des “Banquets”, Livre IV des Deipnosophistes, paragraphie 137d.
Nos autres animaux. Thessalie, 2024
Mais à notre si étrange époque, l’élevage a commencé à décliner progressivement en raison de la limitation des pâturages et du déplacement des habitants vers d’autres activités, supposées plus rentables et mieux “civilisées”. Cela, a également eu un impact sur l’agriculture, entraînant une réduction de la culture de plantes dites fourragères.
Thessaliens, mangeurs de viande. Dans le Pinde, années 2020
Malgré certains efforts pour rattraper la situation, il n’existe aujourd’hui que quelques unités d’élevage bovin organisées, et bien peu de troupeaux ovins contrôlés dans les villages. Les vaches et les porcs sont désormais absents des fermes et seuls quelques moutons sont élevés dans des installations proches des maisons.
Les grands troupeaux d’animaux n’existent donc plus dans notre région. Ils ne restent en Thessalie que comme un souvenir pour les anciens et comme des images d’une époque romantique révolue avec de riches éléments historiques et alors folkloriques. De ce fait… on parlera à leur propos d’ethnographie conjuguée au passé, et ainsi mémoire que l’on dit cependant vivante.
Toujours à ce propos, il faut signaler l’ouvrage de référence de Michel Sivignon (1936-2024), “La Thessalie, analyse géographique d’une province grecque”, Lyon, Institut des études rhodaniennes, 1975, 572 p., et cela, en dépit des années qui nous séparent de sa publication. Déjà, comme il a été noté ailleurs, “
le plan de l’ouvrage est peu imaginatif (fondements naturels et historiques, développement agricole, armature urbaine…), mais c’est dans les chapitres qu’il faut chercher pâture. Ceux consacrés aux transformations de l’agriculture — disparition des contraintes collectives, effacement des mouvements pastoraux, sédentarisation, défrichements et irrigations — sont particulièrement importants : ils débouchent sur une analyse sociologique qui montre une société de très petits propriétaires aux prises avec les impasses de la modernisation étatique”.
Habitants au village de Polythéa en 1930
Actuellement, dans nos bourgades du Pinde situées à plus de mille mètres d’altitude, il suffit de voir les photographies des familles, des clans ou tout simplement des habitants de jadis, lesquels se comptaient alors par centaines, voire parfois par quelques milliers. Tel le cliché immortalisant de nombreux habitants au village de Polythéa en 1930, ils posaient à l’occasion d’une fête, devant la demeure de la famille des notables locaux, les Tegópoulos.
Demeure des Tegópoulos… la partie confidentielle du portique. Polythéa, années 2020
Car en 2024, de la demeure des Tegópoulos ne subsiste alors qu’une… partie plutôt confidentielle du portique et quant à Polythéa, le village est peuplé d’une centaine d’habitants de mai à octobre, puis durant l’hiver, il est seulement surveillé par une famille dite de gardiens.
On range ses vieilles photos. Tríkala, Thessalie, années 2020
On range sinon ses vieilles photos, celle des familles, puis celles des cafés qui ferment ainsi leurs portes pour toujours sauf en ville. Il faut ici préciser que le Pinde Thessalien, en même temps que les inondations en plaine, il vient de subir en septembre 2023, la destruction de nombreuses infrastructures sans oublier les entreprises et les habitations, et quand un an plus tard les routes n’ont pas été vraiment remises en état, le peu d’habitants qu’y demeuraient encore… quittent alors les lieux.
Faits de Résistance en Thessalie, entre 1943 et 1944
Mais en amont, ce sont les faits de guerre et de Résistance, dont les terribles représailles de la Wehrmacht ayant détruit et brûlé l’ensemble pratiquement des villages de montagne entre Trikala en Thessalie et Ioannina en Épire, ceci, entre 1943 et 1944, dont certains n’ont été réinvestis par les habitants rescapés, et encore pas tous, seulement en 1960.
Mon oncle Chrístos, ancien Résistant. Tríkala, avril 2012
Dans le même état de guerre, c’est la suite… logique de la Deuxième Guerre mondiale, autrement-dit, la Guerre Civile grecque de 1944 à 1949, entre Royalistes et Communistes sur cette même zone du Pinde, allant de la Grèce Centrale à la frontière avec l’Albanie, qu’a fini par ravager ce qui en restait sur place, tant du côté des hommes que pour ce qui est des bâtisses et des ressources.
Jeunes et enfants du moment. Le Pinde, années 1940
Montagnes donc, celles des bandits, des combattants libérateurs ou oppresseurs c’est selon, des habitants enfin qui finissent par en finir… de tout point de vue. Sur les photos des années 1940, on aperçoit sinon les jeunes et les enfants du moment, ou encore les partisans communistes, les combattants royalistes ayant marqué leur temps, en réalité si bref.
Ours brun soigné. Le Pinde, années 2010
Mon oncle Chrístos qui n’est plus de ce monde, avait en son temps participé activement aux faits de résistance, et il avait de ce fait connu et… pratiqué parfois malgré lui le Pinde dans toutes… ses beautés.
Destructions de la Guerre Civile. En Épire, années 2020
Car de la beauté il y en a, comme parfois nos ours et nos autres animaux, que l’on rencontre en ces lieux à défaut d’autres habitants quand on emprunte surtout les chemins secondaires, une vraie découverte il faut dire pour les heureux participants aux circuits de la Grèce Autrement.
Monument de l’armée régulière de la Guerre Civile. En Épire, années 2020
Certains villages ou hameaux demeurent ainsi détruits et non reconstruits depuis les années de la Guerre Civile ; ailleurs, ce sont les champs de bataille qui en disent encore bien long de l’ampleur des désastres.
Et pour ne pas perdre le… nord de la Grèce, je montre parfois à mes participants, les monuments toujours séparés, voire antinomiques… quant aux morts honorés séparément, tantôt ceux de l’armée régulière, tantôt ceux de l’armée communiste, près de 80 ans après les faits.
Monument de l’armée communiste de la Guerre Civile. En Épire, années 2020
Mais en plaine, on prépare paraît-il Noël, et d’abord le café du gouter, tandis que nos anciens de la dernière heure, se remémorent au café dit des vieux, ce que notre village fut il y a déjà 50 ans ; en somme toute une éternité.
Traces de la Guerre Civile. En Épire, années 2020
Sous le Météores, enfin sans trop de touristes d’où les chats des lieux scrutent alors l’avenir répétitif de l’univers, à la limite de leur monde, nos “petits” sites archéologiques que personne ne visite même en plein été, sont plus beaux que jamais.
Au café dit des vieux. Région de Tríkala, années 2020
En cette Grèce des hauteurs, les caprins se font certes de plus en plus rares, de même que les bovins, sauf que les Thessaliens demeurent toujours aux yeux des autres Grecs, comme étant de bien grands mangeurs de viande.
Montagnes grecques !
Chats des lieux. Sous le Météores, 2024
* Photo de couverture: En Thessalie profonde. Pinde, 2024