Pinerolo, la division armée… divisée !
“Il est dans la nature de l’homme d’opprimer ceux qui cèdent et de respecter ceux qui résistent” écrivait alors Thucydide en son temps, qui fut celui de “l’Histoire de la Guerre du Péloponnèse”. D’où son récit du grand conflit entre Athènes et Sparte qui se déroula entre 431 et 404 av. J.-C., devenu depuis comme on dit, un classique de la littérature historique.1 C’est vrai, ou plutôt quasiment au sujet des opprimés ou des résistants, comme par exemple pour ce qui tient du triste sort final des militaires italiens en Grèce entre 1941 et 1944, dont nous avons dressé un premier tableau factuel de leur vécu.
Leopoldo Cafaro, officier des Carabinieri photographié au centre-ville de Tríkala, 1942
La… solution fut trouvée par l’intervention “salvatrice” de la Wehrmacht en avril 1941, et c’est ainsi que la Grèce devient jusqu’en 1944, un nouveau pays occupé par l’Axe, dont pour ses deux tiers, le territoire est administré par l’armée d’occupation italienne, administrant ainsi de fait un pays largement agraire encore… à l’ancienne, étant donné que l’Allemagne entend économiser ses forces en vue de son offensive sur l’URSS.
Puis, vint la Proclamation de Badoglio du 8 septembre 1943 lequel, “au nom du gouvernement italien”, confirme l’armistice de Cassibile signé avec les Anglo-Américains du 3 septembre 1943, dans toute sa coupure historique. Sitôt, les centaines de milliers de soldats d’Italie hors des frontières dont ceux occupant la Grèce, furent abandonnés à eux-mêmes. Les Allemands d’emblée les traitaient avec hauteur et mépris, surtout avec la rigueur qu’ils réservaient à ceux qui avaient déserté.
Désormais, la Wehrmacht entend “neutraliser” les troupes italiennes et Grèce, elle sera dans un premier temps facilitée dans sa tâche par le premier enthousiasme, majoritaire chez les Italiens, car ils pensent qu’ils vont enfin pouvoir rentrer chez eux, retrouver leurs familles.
Pays largement agraire. Grèce, années 1930
Mais le cas le mieux emblématique car suffisamment atypique, fut celui de la Division Pinerolo, commandée par le général Adolfo Infante. Elle était déployée en Thessalie, forte de 23.000 hommes, bénéficiant en plus du soutien des régiments Lancieri d’Aoste et de Milan.
Aux archives locales de Thessalie justement, on découvre encore bon nombre de photos héritées de la période de l’occupation italienne, à l’instar de celle de Leopoldo Cafaro, officier des Carabinieri, immortalisé de la sorte, monté sur son cheval et posant fièrement en plein centre-ville de Tríkala. Images figées de ceux qui quelques mois plus tard, ont souvent été perdus à jamais sur les montagnes proches du Pinde. L’Histoire… ne fait alors que dans l’ironie.
Au lendemain donc du 8 septembre, la division Pinerolo refuse de se rendre aux Allemands et répond par le feu à l’ordre de leur remettre l’aéroport de Lárissa. Cependant, se rendant compte de la désintégration des autres divisions italiennes, son général en chef, Adolfo Infante royaliste et anglophile, se dirige avec environ 8.000 hommes de sa division vers la région montagneuse du Pinde, où il conclut un pacte de coopération avec les partisans grecs avec le soutien de la mission anglaise.
Infante en compagnie des chefs de la Résistance grecque. Thessalie, septembre 1943
Les Britanniques soutenaient il faut dire, à la fois les communistes et les royalistes, comme durant un bien long moment, ils ont fermé les yeux devant la violente mainmise des communistes sur les autres mouvements de résistance. En somme, ils “préparaient” à leur manière la guerre civile entre Grecs, inaugurée dans un sens durant ces rudes derniers mois de l’Occupation.
Et pour ce qui est de la division Pinerolo… plongée dans ce contexte, “sa” décision historique largement inédite qui consiste à se rendre aux partisans grecs, prise certes sous la pression de la survie comme autant du désespoir par les militaires italiens en septembre 1943, arrive alors… à point nommé, rendant la situation sur le terrain encore plus complexe.
Car, quand la division Pinerolo s’est finalement rendue aux partisans communistes, elle l’a surtout fait en leur livrant une part non négligeable de son armement et du matériel dont elle disposait. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là, que l’ELAS, l’armée communiste désormais dotée d’un armement moderne, aux dires même des acteurs historiques du moment “considéré comme suffisant”, entend sitôt renforcer sa stratégie de la prise du contrôle de la Grèce après la libération du pays. Un but qui deviendra d’ailleurs mieux perceptible durant les sanglants mois de l’Occupation, désormais uniquement allemande du pays laquelle a duré jusqu’en octobre 1944.
Infante en compagnie et Saráfis, chef militaire de l’ELAS. Thessalie, septembre 1943
Aussitôt sur le terrain des opérations, plusieurs affrontements cruels avec les Allemands s’ensuivirent durant l’automne 1943 et fatalement, les relations avec les formations communistes d’ELAS se rompirent rapidement. Peu d’Italiens souhaitaient vraiment reprendre les armes et de leur côté, les partisans communistes grecs ne leur faisaient guère confiance et ne pouvaient pas le plus souvent, s’occuper… de leur maintien en vie.
C’est ainsi que les troupes italiennes furent d’abord divisées puis désarmées par l’ELAS. Après une vaine résistance, ceux de Pinerolo resignés, seront internées dans trois camps de concentration, à Grevená en Macédoine grecque, à Neráïda en Thessalie et à Karpenísi plus au sud, toujours dans le massif du Pinde.
Dans ces camps, plusieurs milliers de soldats italiens ont rapidement perdu la vie pour cause de maladie et de famine, sans oublier les rafles des Allemands, ces derniers n’ont même pas épargné les malades et les blessés trouvés dans leurs lits. Pour ce qui est du camp de rassemblement de Neráïda dont l’emplacement se situe près de l’actuel lac artificiel Plastíra à 1.150 mètres d’altitude, il a été créé par la Mission militaire britannique afin d’accueillir les 3.500 soldats et officiers de la division Pinerolo restants, désarmés par l’ELAS en octobre 1943. D’ailleurs, l’ELAS avait pour tâche de garder ce camp.
Ordre des autorités d’Occupation. Tríkala, juin 1941
Pour se sauver, la majorité des Italiens qui s’y trouvaient, se sont dispersés dans les villages voisins et dans la forêt. Cependant parmi eux, 1.500 soldats et officiers de Pinerolo se sont livrés aux Allemands et ceux qui retournent à Neráïda après le départ des Allemands, ils retrouvent le village détruit ainsi que les vivres.
Dans ce contexte, plusieurs soldats italiens finissent chaque jour par succomber, jusqu’à près de 1.000 hommes au total, également de maladies. La solution d’urgence trouvée fut en même temps un compromis, entre l’armée communiste de l’ELAS et les Anglais de leur mission, présents sur place.
L’ELAS allait confier les militaires Italiens aux familles grecques des lieux, en contrepartie, chaque famille recevrait 0,5 livre anglaise en or par mois pour chaque soldat hébergé et une livre entière pour chaque officier, sous… financement anglais.2
Infante en compagnie d’un officier anglais. Thessalie, automne 1943
Parmi les chroniqueurs que l’on dit parfois locaux, lesquels depuis enfin une vingtaine d’années se sont autant penchés que d’autres historiens sur nos tristes histoires communes en cette déchirante Europe… du Pinde, des années 1943 à 1944, Charálambos Alexándrou, originaire d’ailleurs de Thessalie et plus précisément de la région de Vólos, a enquêté, puis publié en Grèce un livre-document, justement sur le sort des hommes de la division Pinerolo en Thessalie.
Suite à sa traduction en italien, l’auteur a eu l’occasion de présenter les résultats de ses enquêtes aux historiens et plus largement au public italien et cela à plusieurs reprises. Comme à Acqui Terme en mars 2023, ou bien plus tôt, notamment à Trieste en décembre 2011 dont le texte de sa conférence participant à un colloque sur la division Pinerolo en Grèce, est partiellement disponible sur Internet dont nous publions ici quelques extraits.
“Il y avait – en septembre 1943 – quatre forces opposées sur le terrain, les Britanniques, les organisations de résistance grecques ELAS et EDES et bien sûr, les Italiens. La partie italienne était représentée par le général Infante, partisan du roi et pro-britannique, ayant servi comme attaché militaire dans les ambassades italiennes à Londres avant la guerre et à Washington après la guerre”.
L’annonce du colloque sur la division Pinerolo. Acqui Terme, mars 2023
“En ce qui concerne l’ELAS, une opportunité très importante et unique s’est présentée à sa direction. Saisir une énorme quantité de matériel de guerre, matériel que le MMB lui réservait il faut dire jusque-là au compte-gouttes”.
“Le chef du MMB en Grèce, C. Woodhouse” “ écrivait à ce propos avec une sincérité désarmante : -Depuis le début des négociations, quelques semaines avant la signature de l’armistice avec l’Italie, les délégués de l’EAM-ELAS avaient constaté dans l’attitude du chef de la mission militaire britannique, -c’est-à-dire lui-même, la tendance, dans tout différend qui surgit, à se ranger du côté de quelqu’un d’autre que le leur”.3
Au sujet du livre de Charálambos Alexándrou, traduit en Italien, 2022
“Du général Wilson – chef de l’état-major du Moyen-Orient en Égypte – la mission britannique avait reçu des ordres catégoriques, elle devait faire tout son possible pour prendre possession de toutes les armes italiennes, se réserver les modalités de répartition de ce matériel de guerre et il n’était pas question d’abandonner le terrain… pour que tout le butin tombe entre les mains d’ELAS”.
“Le commandant en chef n’avait pas confiance dans la façon dont l’EAM-ELAS utiliserait l’armement qu’elle allait acquérir. Il s’agissait en fait d’une puissance de feu si grande que les Britanniques n’auraient pas pu contrebalancer en termes de fournitures militaires au bénéfice de l’EDES par le biais du canaux normaux à leur disposition”.
Infante entre partisans grecs et officiers anglais. Thessalie, automne 1943
“Il n’était pas nécessaire d’être très intelligent pour comprendre qu’une telle annonce n’était possible qu’à l’issue de négociations plus larges, allant bien au-delà de la simple cessation des hostilités. Au cours des négociations, des plans auraient pu être élaborés et des mesures opérationnelles adoptées de manière à permettre aux Italiens de résister et de réagir efficacement au désarmement imposé par les Allemands”.
“Mes premiers contacts avec les commandants italiens après l’armistice, m’ont convaincu que ni les autorités italiennes ni les autorités britanniques n’avaient fait de préparation pour faire face à la situation survenue après l’annonce de l’armistice et pour contrer la menace allemande qui pesait sur les troupes italiennes”.
Cellules d’un monastère ayant accueilli les hommes de Pinerolo. Photo des années 1950
“La mission militaire britannique a attribué le manque de préparation de l’armistice à la nécessité d’un secret absolu. Toutefois, les négociations concernant cet accord ont été tenues cachées uniquement à l’ELAS et, selon toute probabilité, aux troupes d’occupation italiennes, mais il était clair que les négociations pour la capitulation et la stipulation du document correspondant, dont on a su par la suite qu’il avait été signé le 3 septembre 1943, n’étaient guère un secret pour les Allemands”.
“Ces derniers se mobilisent et ont eu tout leur temps d’organiser tactiquement leurs forces de manière à contrôler chaque mouvement italien, presque immédiatement après l’annonce de l’armistice. Afin d’exécuter l’ordre de Badoglio, et donc de se défendre contre les Allemands, aucun plan opérationnel n’a été mis en œuvre prévoyant des actions coordonnées entre les Italiens et les Alliés”.
“D’anciens ennemis deviennent amis”
“Au-delà de la complexe question du hasard et des considérations politiques impliquant la question intrigante de la division Pinerolo immédiatement après le 8 septembre 1943, l’armistice italien a été vécu en Grèce et particulièrement en Thessalie, comme un fait inhabituel et peut-être unique en temps de guerre. Des hommes qui jusqu’à récemment étaient ennemis sont devenus des alliés et des amis, dans de nombreux cas ils ont fraternisé et ont vécu ensemble pendant près d’un an”.
Fusil en cadeau, fait par Infante au chef des Partisans Papathanasíou. Athènes, musée de la Guerre
“Lors de longues marches entre les montagnes et la plaine de Thessalie, non seulement il n’y eut aucune dénonciation de la part des paysans, dénonciation qui eût été fatale aux soldats italiens, mais au contraire, les soldats italiens furent assistés et pourvus dans certains cas de la nourriture nécessaire. Un comportement similaire s’était produit les années précédentes, lorsque de nombreux soldats italiens aidaient des familles grecques. Ce comportement est né de la conscience des deux peuples d’appartenir à la même culture et de n’avoir rien de commun avec les nazis allemands”.
“À cet égard, l’exemple de la garnison d’Almyrós est très significatif. Toute la garnison, à partir du 12 septembre 1943, fut conduite par les partisans vers Karpenísi. Le journal du soldat italien Antonio Danielli de Villanova d’Albenga en Ligurie, tenu par son fils, en cours de publication, rappelle, outre les faits d’Almyrós, d’une part cette montée dramatique et difficile vers Karpenísi, d’autre part sa cohabitation avec une famille grecque du village de Potamoúla, en Grèce centrale”.
“Le moment où, lors de la marche vers Karpenísi, un partisan grec l’assiste en le portant sur ses épaules car il est affaibli et souffre de paludisme, est émouvant. Tout aussi touchants sont son hospitalisation de quelques jours dans un hôpital de fortune de l’ELAS et les propos encourageants du médecin partisan. Après bien des vicissitudes, Antonio Danielli fut accueilli par une famille grecque dans le village de Potamoúla, où il vécut sans distinction, littéralement considéré comme un membre de la famille, jusqu’à la libération grecque en octobre 1944”.
Soldats italiens et civils grecs. Thessalie, 1942
“Pareil avec les Grecs. En visitant les villages de l’ouest de la Thessalie où étaient hébergés la majorité des soldats de Pinerolo, les personnes âgées racontent et se souviennent encore avec grand plaisir de la coexistence avec les soldats italiens. Il est dommage qu’un fait aussi unique n’ait pas motivé les chercheurs à aborder ce sujet”.
“Bien sûr, tout ne s’est pas parfaitement déroulé – surtout quand les relations humaines et la guerre, qui ne tue pas seulement les hommes physiquement, sont en même temps compromises. Les contacts des paysans, mais aussi des partisans, avec les Italiens ont été marqués parfois par autant d’actes ignobles, lesquels ont de temps à autre même abouti à des brutalités de toute sorte visant ces derniers. Ce qui s’est produit ici est la raison pour laquelle de nombreux Italiens, à juste titre, sont rentrés chez eux avec des souvenirs issus d’expériences douloureuses. Toutefois, ce n’était guère la règle – et il faut le souligner – car sinon nous serions conduits à des conclusions erronées”.
“L’apport des Italiens”
“En outre, un autre fait ne peut être négligé. Leur travail dans les villages de Pinde et dans d’autres régions a représenté une contribution précieuse. En effet, issus d’un pays doté d’un développement technico-scientifique supérieur et possédant des compétences spécifiques dans divers domaines, les soldats italiens ont réussi à trouver des solutions aux problèmes et aux besoins qui surgissaient progressivement dans les territoires dans lesquels ils étaient stationnés”.
Livre de Romolo Galimberti, soldat de Pinerolo en Thessalie
“Un autre cas très intéressant concerne un officier de Pinerolo de la garnison de Vólos, expert en agronomie. D’un de ses voyages en permission, il rapporta d’Italie un greffon d’amandes particulièrement résistant à l’eau. Une telle variété n’existait pas en Grèce. Ce type d’amande s’est ensuite répandu dans toute la région de Vólos et aujourd’hui est connu sous le surnom de – To italikó – l’italien. Certains se demanderont comment les greffons ont réussi à survivre du voyage. Eh bien, cette fois encore, l’inventivité humaine a fait son miracle. Les greffons ont voyagé protégés à l’intérieur de… pommes de terre”.
“Fait autant mémorable, les soldats italiens ont également acquis une réputation de travailleurs acharnés. Ainsi, -solèrzia- est devenue synonyme de l’homme italien dans les villages autour de Neráïda en Thessalie des montagnes. C’est ainsi que l’expression -travailler comme un Italien – est apparue chez les Grecs en ce moment, pour désigner ceux qui travaillent de manière acharnée. Ceci, en dépit de ceux qui essayant d’interpréter la crise actuelle, prétendent que celle-ci est due à la paresse et à la nonchalance des Européens du Sud”.4
Monnaie de l’Occupation italienne. Grèce, 1941-1943
“Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas oublier. Nous devons travailler pour éviter un grand danger, qu’un survivant de Neráïda, Antonino Mariotta, dénonce avec une amertume évidente. En nous décrivant les souffrances endurées en ce lieu défini comme -le tombeau des Italiens, il dit : -Je suis à vos côtés ; J’ai enfin pu me défouler un peu, car quand je parle de la Grèce – et cela arrive souvent – mes enfants disent qu’il y a désormais de l’eau ayant passé sous les ponts. C’est de l’eau certes passé sous les ponts, mais de l’eau à ne pas jeter. Leur mort a servi la vie, elle a servi leurs enfants et petits-enfants qui, précisément grâce à ce sacrifice, n’ont pas eu à prendre une arme et à la pointer sur un autre homme, le tuant”.
“Aujourd’hui, nous pouvons dire même que les traces des Italiens de Pinerolo resteront à jamais sur le Pinde”.
Pour conclure à mon tour sur une note peut-être disons… autant ethnographique, je reviens sur Nektários Katsóyannos, chroniquer de ma région et de la ville de Tríkala. Dans son enquête publiée au sujet des bistrots, des cabarets, des cafés ainsi que des autres lieux de fréquentation à Tríkala, entre 1880 et 1980, il rapporte cette anecdote issue de la période de l’Occupation.
Le marché local. Ville de Tríkala, 1943
À part son orchestre au succès déjà assuré, de nombreuses jeunes femmes s’y produisaient proposant de nombreux numéros… artistiques et même davantage si affinités. Ces filles se nommaient alors “artistes”, et elles provenaient le plus souvent d’Athènes, fuyant la famine mortelle que connaissait alors la capitale. Le chef de la Police d’Athènes sous l’Occupation, facilitait d’ailleurs leur exode économique, en leur procurant de nombreuses autorisations pour circuler.
Arrivant à Trikala, toutes ses jeunes femmes devaient signaler leur présence et ainsi s’enregistrer auprès des autorités militaires italiennes lesquelles contrôlaient la ville et sa population. Pour obtenir leur titre de séjour, elles se pointaient sitôt apparues, au bureau du Gouverneur italien, subissant d’entrée… le nécessaire interrogatoire.
Questionnées sur leur métier – “Che lavoro fa?” – leur réponse immuable fut – “Artista”. Et le gouverneur militaire alors ordonnait à son secrétaire-soldat : “Antonio, scrivi grande puttana”.
Mémoire des soldats de la Division Pinerolo de 1943. Neráïda en Thessalie, 2009
En 2009, un monument a été érigé à la mémoire des Italiens de la Division Pinerolo, morts de faim, de maladie et d’épuisement au camp de Neráïda, dans la région de Kardítsa en plein massif du Pinde et du côté des villages d’Ágrafa.
De temps à autre, je fais visiter cette région du Lac Plastíra aux participants à mes parcours de “Grèce Autrement”… partisans entre autres de l’histoire sans guillemets, faisant à l’occasion visiter le monument des Italiens à Neráïda.
Sauf par temps d’inondation… ou de guerre !
Soldat… inconnu grec, enterré par les soldats italiens. Guerre de 1940-41
* Photo de couverture: Soldats italiens en Grèce. Corfou, années 1941 à 1943
Notes
- Pour la citation, nous avons utilisé la traduction proposée par Jacqueline de Romilly aux éditions Robert Laffont, collection Bouquins, 1990. ↩
- Déjà en amont, quand le gouvernement grec a quitté Athènes devant l’avancée des troupes allemandes en avril 1941, il s’est placé sous le contrôle total de la puissance britannique et de ce fait, il fut installé en Égypte. Par la même occasion, les Britanniques ont saisi les stocks d’or de la banque centrale grecque, lesquels n’ont jamais été rendus à la libération. Londres a fait signifier aux Grecs que cet or équivalait à l’aide britannique octroyée à la Grèce, aux frais de fonctionnement du gouvernement grec en exil, ainsi qu’au financement en livres d’or de la Résistance grecque, dont… naturellement la prise en charge des soldats italiens de la division Pinerolo. ↩
- Notons que Christopher Montague Woodhouse, 5th Baron Terrington de son titre complet, est considéré par certains historiens comme étant le principal responsable de la Guerre civile en Grèce. Personnage initié à la haute sphère du pouvoir mondial anglosaxon, Woodhouse fut après-guerre nommé par W. Churchill en 1951, ambassade anglais à Téhéran, dans le but – réussi – de renverser le gouvernement de Mohammad Mossadegh sous le nom de code “Opération Boot”. Le colonel et ancien chef de la MMB occupait un poste clé dans cette opération, sous l’aimable… cogestion de la CIA. Sans doute, son expérience acquise en Grèce aurait été utile dans une telle… opération. ↩
- Le texte date des premières années de la crise grecque, d’où ces justes interprétations des faits, en rapport avec leur contexte. Sinon, -solèrzia- en italien désigne la diligence réfléchie dans l’exécution d’un travail. ↩