Nom de code : HEW/LGAT
La mémoire d’un pays tient parfois à la réputation de ses aéroports… même abandonnés. Par une enfance partagée entre Athènes et la Thessalie, je me souviendrai toujours de l’attrait exercé sur nous par le site d’Ellinikó, autrement-dit, l’aéroport historique d’Athènes, connu sous le code international : HEW/LGAT.
Le hasard faisait que nous habitions à l’époque le quartier d’Héliopolis et la rue… de Thessalie, belle… situation il faut dire, sous le mont Hymette, très exactement face à l’aéroport, la mer sous nos yeux. Héliopolis, non pas d’Égypte mais du grand Est athénien. Rêves d’enfant.
Aéroport d’Ellinikó, années ’50
De toute évidence, la mémoire de l’ancien aéroport sur le site d’Ellinikó, utilisé par l’aviation civile entre 1938 et 2001, est liée à une part essentielle de l’histoire du pays au 20e siècle, immortalisé sitôt à souhait par le cinéma grec des années 1950 à 1970. Séquences, il faut dire, alors “magiques” que déjà enfants, nous les dévorions à souhait. Même son nom et autant toponyme, évoque le “pays entier”, “Ellinikó”, c’est à dire “hellénique”, une métonymie qui s’est imposée après la Deuxième guerre mondiale, quand le premier aérodrome en ces lieux se nommait jusqu’alors Hassani, le toponyme étant hérité de la période de la longue occupation ottomane de la Grèce et des Balkans jusqu’au 19e siècle. Finalement, le “hasard” de la géopolitique, a fait coïncider la disparition de “l’aéroport Hellénique” avec celle de la monnaie nationale, c’était à l’aube des années 2000. Changement de cap, forcement… pour un autre envol.
Devant l’aérogare Ouest en 2001
Ainsi, notre aéroport historique, devenu lieu de mémoire pour toujours et pour toutes les générations quelque peu… passées comme la mienne, ne devait plus servir depuis, contrairement à ce qui s’est produit à d’autres pays et dans pareilles circonstances, chaque fois lors de la construction d’un nouvel aéroport. Du passé… faisons alors table de Monopoly.
Arrivées figées à jamais. Ellinikó, 2014
Le site d’Ellinikó avait pourtant été le premier aéroport d’Athènes, pendant près de soixante ans. Étendu au-delà de la première base d’aviation militaire des années 1920, c’est seulement après la Deuxième guerre mondiale, qu’il incarnera si fièrement la principale porte d’entrée au pays de Zeus, qui plus est, à deux pas de l’Acropole, à une époque où décidément, tout était à refaire.
Souvenirs palpables de toute une époque. Ellinikó, 2014
Il s’est procuré à l’occasion pour sa compagnie trois avions Dakota C-47, lesquels au cours de l’été 1946 en Égypte, ils ont été sitôt convertis en appareils civils Douglas DC-3. Cette deuxième flotte de la compagnie TAE a pris du service dès 1946, basée évidemment sur l’aéroport d’Ellinikó, si… fièrement reconstruit au sud-est d’Athènes, près du golfe Saronique. Notons pour ce qui est des faits historiques marquants de l’aviation civile en Grèce et autant de la mémoire nationale, que ces appareils ont été les premiers à assurer les rotations essentielles de l’après-guerre, d’abord d’Athènes vers Thessalonique et ensuite vers d’autres destinations, à commencer par La Canée en Crète. Tout restait certes encore rudimentaire et les passagers de la compagnie attendaient leurs vols sous un grand chapiteau, jusqu’à la construction d’un premier vrai terminal quelques mois plus tard. Cependant, au cours de sa première année d’exploitation, cet unique aviateur national de l’époque, avait déjà transporté 11.000 passagers, dont la délégation grecque à Paris lors des pourparlers de Paix en octobre 1946. Et ce n’était pas rien.
Hôtesse de l’air de la compagnie Olympic, années ’50
Durant cette période justement, le Parlement grec décide en 1947 d’accorder des licences à trois autres compagnies aériennes, HELLAS, AME et Daedalus. Malgré leur concurrence, TAE a atteint le chiffre de 66.000 passagers en 1947 et de 184.000 en 1948, une performance exceptionnelle pour l’époque. Mais en 1948, TAE a affronté un… nouveau défi, jusque-là inconnu. Le 12 septembre 1948 a eu lieu le premier détournement d’avion en Grèce et certainement l’un des premiers de l’aviation civile mondiale. Sur un vol régulier entre Athènes et Thessalonique avec 21 passagers à bord, l’avion TAE immatriculé SX-BAH a été détourné par trois pirates de l’air au-dessus de l’île d’Eubée. Les pirates de l’air, tous jeunes communistes, ont exigé que l’avion atterrisse en Yougoslavie. Les deux pilotes, sous la menace d’armes blanches ont finalement posé l’avion dans le Sud de la Yougoslavie laissant ainsi sortir les trois jeunes pirates de l’air, avant de décoller pour finalement atterrir à Thessalonique comme initialement prévu.
En 1951, les quatre compagnies aériennes grecques s’unissent sous l’impulsion pressante de l’État, lequel les contraint à la fusion par une loi-cadre dont l’application était obligatoire. La nouvelle compagnie, à l’occasion modernisée, opère désormais sous le nom historique de TAE, quand la compagnie d’origine de Stéphanos Zótos détient 45% des parts dans la nouvelle structure. Notons que l’article 6 des statuts de la nouvelle compagnie interdisait la vente ou le transfert des actions de TAE à tout ressortissant étranger.
Cependant, les relations entre le monde politique et les dirigeants de la compagnie aérienne se dégradent rapidement, au même titre que les résultats de TAE au niveau financier. Entre scandales à répétition et pressions politiques, TAE est mise en liquidation et de nouveaux noms apparaissent parmi ses acheteurs potentiels. La course fut désormais lancée, enfin entre les armateurs grecs, Niárchos, Goulandrís et Onássis. Ce dernier s’impose décidément et dès 1957, la nouvelle compagnie nationale privée se nomme sitôt Olympic Airways, toujours basée à Ellinikó. Aux yeux des Grecs, la légende d’Aristote Onassis est depuis liée à celle de l’aéroport historique d’Athènes.
Olympic Airways… en souvenir. Ellinikó, années 2000
Pour près de la moitié des films de l’époque tournés dès les années ’50, Ellinikó et ses avions deviennent fatalement les vedettes incontournables des caméras, au même titre que les acteurs bien entendu. Durant près de 25 ans, les Grecs suivent ainsi dans les salles obscures, mois après mois, l’évolution, les agrandissements et les embellissements du site d’Ellinikó, autant que les mutations techniques des avions et notamment, l’avènement des jets commerciaux. Doté de balcons accessibles au public, Ellinikó devient également un site très prisé des promeneurs du dimanche. On y boit volontiers son café ou sa bière en contemplant les avions, en observant leurs passagers non sans une certaine jalousie.
Vue du ciel. Ellinikó des années ’50
Cependant, lorsqu’on examine l’image plus attentivement, on s’aperçoit qu’il s’agit très précisément de l’appareil Douglas DC-6 immatriculé OO-SDB. Il ne s’agit pas hélas de n’importe quel appareil de l’époque et de la compagnie belge. Car ce même appareil, effectuant le vol 503 s’est écrasé deux ans plus tard, le 13 février 1955 sur le mont Terminillo près de Rieti en Italie, à 100 km au Nord-Est de Rome, tuant les 29 personnes à bord.
Le Douglas DC-6 belge, immatriculé OO-SDB. Film grec de 1953
Marcella Mariani, couronnée Miss Italie en 1953
L’âge d’or d’Ellinikó, fut certainement autant celui d’Olympic sous Aristote Onássis. Après son retrait, suite à la mort de son fils Alexandre dans un accident d’avion au décollage justement d’Ellinikó affaire sinon bien controversée, puis après le décès du père Onássis en 1975, voilà que toute une époque a pris fin. Olympic Airways passe alors sous le contrôle de l’État grec.
Olympic Airways de jadis. Ellinikó, années ’80
D’après les données de l’enregistreur de vol, le constructeur Boeing considère que par une vitesse de 160 milles et par une altitude de 50 mètres du sol, cet appareil est tout simplement perdu, il tombe. Pourtant, l’équipage aux commandes et d’abord son pilote Sífis Migádis, cet ancien pilote militaire né en 1928, formé pendant la guerre des années ’40 par la RAF, a réussi le miracle. En quelques instants seulement, pourtant bien trop longs, le gros Boeing a gagné à la fois suffisamment d’altitude que de vitesse, pour finalement réintégrer Ellinikó et se poser avec près de 400 passagers à son bord.
Sífis Migádis, pilote. 1928-1996
Voilà donc pour ce qui est de la fin de toute une époque, les souvenirs en plus. Notons que les quartiers d’Athènes du moment étant plus espacés qu’actuellement, c’est alors du balcon de notre appartement, que nous disposions d’une vue complétement dégagée sur l’aéroport et sur la mer, comme déjà évoqué. Et notre grand jeu, consistait à contempler à chaque occasion, les rotations des avions, autant que celles des bateaux. Enfance… que l’on croit en général gâtée.
La démolition. Ellinikó, 2020
Saarinen décédé prématurément, n’aura pas découvert non plus, cette désolation récente due à l’abandon volontaire de son œuvre en Grèce. Le nouvel aéroport international d’Athènes, Elefthérios Venizélos, construit près de la localité de Spáta, ouvre finalement ses pistes le 28 mars 2001 sous le règne de… la nouvelle Grèce. Seul le Terminal Est sera conservé à Ellinikó, site bien entendu transformé… au sein d’un projet immobilier, mêlant à la fois les immeubles… à la manière de Dubaï, et les villas rentabilisées à l’image de la Cote d’Azur. Nouvel… envol.
Le terminal Est. Ellinikó, 2014
“Dans cet incident, tout s’est parfaitement relié. L’estime de soi de mon père, ses capacités, son courage et son défi face aux méthodes de vol officielles. Il avait déjà contacté Boeing et changé la procédure d’atterrissage. Toutes ces épreuves lui ont donné la confiance dont il avait besoin en ce moment pour sauver l’avion. Il l’a fait parfaitement, même si les simulateurs de vol ont par la suite montré l’avion comme étant perdu, en train de s’écraser. En terminant, je dirai quelque chose de très provocateur. Mais c’est ce que je ressens. Pardonnez-moi, mais ce sont mes sentiments. C’est mon père. L’Univers lui a donné à ce moment-là, l’occasion de se réaliser. Je ne veux rien dire de plus”.
La démolition. Ellinikó, 2020
La mémoire d’un pays tient parfois dans l’action de ses pilotes… ou de ses chats.
Sauvant les chats adespotes. Ellinikó, 2020
* Photo de couverture: Sculpture instaléé devant l’aérogare Ouest. Ellinikó, 2014