Dans le massif du Pinde


Agrafa demeure pour les initiés ce terroir montagneux, quasi “inaccessible” il y a encore quelques années, entouré paraît-il de mystère. Cette région étendue, regorge de joyaux perchés sur les flancs de ses pentes, dominant les flots, les vallées étriquées et les lacs, portant en leurs pierres toute la richesse du patrimoine régional. Entre lacs et montagne, ces villages composent alors le caractère unique de la Grèce continentale, un mélange… si possible harmonieux de culture, d’histoire et de plaisirs gastronomiques, dans un décor naturel exceptionnel.

Le lac Plastíras. Thessalie occidentale, août 2023

C’est en même temps un parcours incontournable au sein de notre suggestion de découverte de la Thessalie, loin des sentiers battus et du tourisme de masse, par “Grèce Autrement”. Nous pénétrons d’abord… le mystère du Lac Plastíras, situé à près de 1.000m d’altitude. Ses bourgades, entourées de chênes et de châtaigniers, composent ce que les habitants des lieux nomment “le balcon de la Thessalie”. Depuis les hauteurs du lac, notre regard atteint même par temps clair les sommets du mont Olympe.

Nous explorons ce pays humide aux magnifiques villages surplombant le grand lac créé par le barrage en 1959. Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’ancien plateau avait été aménagé pour accueillir le seul aérodrome fonctionnant sous le contrôle de la Résistance grecque durant l’Occupation allemande. Tout de même !

Le Pinde en hiver. “Grèce Autrement”, 2023

Il est également possible de joindre le bourg d’Ágrafa, au cœur de sa région homonyme, par la route non asphaltée, après réaménagement nécessaire de notre parcours pour y inclure une étape sur piste d’environ quatre heures. Une… perle sauf météo contraire et réalisable uniquement en saison d’été, au beau milieu de cette imposante Grèce des montagnes, à l’histoire bien mémorable.

Car, Ágrafa est en même temps ce nom attribué à l’ensemble de la région du Pinde méridional, ce qui signifie en grec “localités non-inscrites”, sous-entendu aux registres administratifs des Empires, byzantin et ottoman et cela il faut dire, non sans raison.

En altitude. Près du Lac Plastíras, 2022

L’histoire… préserve de la sorte toutes ses positions sur ces hauteurs, monts et alors supposées merveilles. Pays montagneux aux faits bien rudes ; naturels comme alors humains. Ses habitants, longtemps indépendants sur les hautes terres étroites de la chaîne d’Ágrafa en Pinde du sud, deviennent à l’occasion ces Klephtes,1 combattants naturellement irréguliers, bandits des passages et autant résistants tenaces face aux envahisseurs, voilà pour les héros historiques des lieux.

Héros pour ainsi dire, cependant à travers les drames connus et surtout oubliés de l’histoire grecque. Entre la Thessalie occidentale et l’extrémité nord de l’Eurytanie en Grèce-Centrale, ces montagnards d’Ágrafa, ont toujours lutté face aux éléments, humains comme par ailleurs naturels, aléas de l’histoire compris.

Raisin en altitude. Près du Lac Plastíras, 2022

La région, avant la construction du barrage et la formation du lac, était connue pour son célèbre plateau de Nevrópolis, lequel tire son nom des cerfs qui vivaient dans ses forêts denses. D’après les sources antiques, c’est en ces lieux que vivaient les fameux Dolopes, un peuple guerrier et coriace… déjà dans les temps anciens.

Ils participèrent d’après Homère, à la guerre de Troie sous les ordres d’Achille, pour combattre courageusement aux côtés des Myrmidons. Après la prise de Troie, ils retournèrent dans leur pays, après avoir traversé la Thrace et la Macédoine. La capitale des Dolopes, au nom d’ailleurs incertain et aux dires des archéologues, serait située près de l’actuel barrage sur le lac. Déjà, les fouilles entreprises dans la région, ont localisé les ruines de deux anciens habitats Dolopes, aux villages de Kastaniá et de Belokomýtis.

Ruches. Près du Lac Plastíras, 2022

Les Dolopes combattirent également aux côtés des Macédoniens contre les Romains et, durant la période Romaine, ils furent… confinés dans leurs montagnes. Leurs dignes descendants dans les années de Byzance, se sont avérés des iconolâtres méthodiques, et ils l’ont naturellement prouvé sur le terrain des opérations.

Ainsi, lorsque l’Empereur Constantin V envoya ses représentants pour retirer les icônes des églises, ils les arrêtèrent et les tuèrent. Lorsqu’il en fut informé, l’Empereur ordonna que cette province soit rayée des registres de l’Empire, et désormais la région prit le nom d’Agrafa, “localités non-inscrites”.

Élevage en altitude. Près du Lac Plastíras, 2022

Rappelons que Constantin V, également connu sous le nom de Constantin le Copronyme par ses adversaires, littéralement celui qui porte le nom… des excréments, fut empereur de Byzance de 741 à 775. Il remporta certes des succès militaires au Moyen-Orient et dans les Balkans, mais on se souvient surtout de son règne pour sa persécution systématique des Chrétiens, des églises et des monastères qui vénéraient des icônes et des reliques.

Après la chute de Byzance et de sa capitale Constantinople en 1453, désormais sous la domination ottomane, les habitants d’Ágrafa ont maintenu leur autonomie et en 1525, ils ont signé le traité de Tamási allant dans ce même sens, avec les Turcs.

D’après les termes du traité, les chefs locaux de la population grecque d’Ágrafa devraient payer auprès du seul représentant du Sultan établi Neochóri, un impôt annuel de 50.000 piastres d’argent, d’une valeur actuelle d’après nos calculs de 900.000 euros, et qu’en échange, les Turcs ne devrait en aucun cas mettre les pieds dans la région. Cet accord n’a été violé que par les troupes d’Ali Pacha, lancées vers 1810 à la poursuite des chefs combattants parmi les irréguliers Grecs, dont Katsandónis, Díplas et Karaḯskos.

La grotte où serait né Geórgios Karaïskákis. Région d’Agrafa, 2022

Ce dernier était d’ailleurs le père de Geórgios Karaïskákis, chef militaire et héros de la Guerre d’Indépendance grecque, lequel d’après certaines sources, il serait né dans une grotte de la région d’Ágrafa. Avec l’affirmation de la Révolution grecque de 1821, les habitants de la région se soulevèrent donc sous Karaïskákis justement, et ils livrèrent de nombreuses batailles sur le plateau de Nevrópolis.

Notons qu’en stratège militaire confirmée, Karaïskákis rejoint l’Attique en mars 1827 pour participer aux tentatives de dégager l’Acropole d’Athènes assiégée par l’armée ottomane. Il était alors le chef grec le plus influent de l’armée des insurgés, sauf qu’Il fut blessé au ventre non pas par un Turc, mais par un Grec… sous l’influence des Anglais, et voilà que Karaïskákis mourut le 23 avril du calendrier julien.

Avec la libération et la mise en place de l’État grec contemporain de 1830, la région d’Ágrafa fut divisée, la moitié dans l’État grec libre et le reste, au sein de la Thessalie encore occupée par les Turcs, jusqu’à sa libération survenue, en 1881. Au barrage d’aujourd’hui se trouvait d’ailleurs jusqu’en 1881, le poste de douane entre la Grèce et la Turquie ottomane.

Le barrage du lac Plastíras. Thessalie, août 2019

C’est certes l’un des terroirs les moins peuplés de Grèce, surtout depuis la terrible décennie 1940-1949, et j’ai eu le plaisir par le passé, toujours dans le cadre de la “Grèce Autrement”, d’y initier l’ami historien Olivier Delorme, déjà grand connaisseur des réalités grecques et balkaniques. Il est entre autres l’auteur de “La Grèce et des Balkans”, ouvrage sinon de référence désormais, dans l’historiographie contemporaine sur la région.

Notons ici que la “balkanisation” est une notion de géopolitique, utilisée pour la première fois par l’Allemand Walther Rathenau dans une interview publiée par le “New York Times” en 1918. Elle désigne généralement un processus de fragmentation ethnique et politique, issue dans l’esprit de Rathenau, du morcellement géographique qui prévaut dans les Balkans.

La construction du barrage dans les années 1950

Et pour s’y rendre, il faut d’abord monter. Prendre de la… hauteur, c’est déjà réaliser son ascension depuis la plaine thessalienne et jusqu’au lac Plastíras, du nom du Colonel, puis Général et enfin Premier ministre du pays, originaire des lieux, plus exactement du village Morfovoúni. Il avait d’ailleurs imaginé le projet du barrage et du lac artificiel alimenté par le fleuve Mégdovas bien plus tôt, dans les années 1920. Nikólaos Plastíras, ayant décédé en 1953, il a également… gagné la postérité par le surnom de “Cavalier Noir” pour ses faits de guerre durant le conflit Gréco-turque en Asie mineure, de 1919 à 1922.

Pour les deux projets, du barrage et de son lac aménagé, recouvrant depuis lors le plateau fertile de Nevrópolis, la majorité du labeur avait été réalisée par les habitants de la contrée, et par l’entreprise française “Omnium Lyonnais-Coteci”. Le financement de l’ouvrage avait été en partie assuré par les dédommagements que l’Italie de l’après 1945 a versé à la Grèce, pour compenser, si ce n’est qu’en partie, les désastreux effets de la guerre que Rome sous Mussolini, déclenchée le 28 octobre 1940.

Ainsi, le barrage et son lac, ont pu permettre une certaine poussée économique à la région, entre l’électrification, l’usage de l’eau en tant que source d’irrigation pour les cultivateurs de la plaine de Thessalie, et même un certain tourisme, essentiellement grec.

Nikólaos Plastíras. Asie mineure, 1921

Poussé économique toute relative, car l’essentiel de la production agricole sur l’ancien plateau de Nevrópolis désormais sous les eaux du lac, a été perdue à jamais. Notons à ce titre que la somme de la population pour l’ensemble des communes de la contrée, est passée de 9.000 habitants en 1960, à moins de 3.000 habitants en 2020.

Décidément, l’investissement imaginé par le Général Plastíras dans sa région natale et surtout la création du lac, finira certes par transformer le plateau de Nevrópolis, sauf que cette région d’Ágrafa figure toujours parmi les régions les plus pauvres et les plus isolées de Grèce. Le tourisme grec en ces contrées étant en perte de vitesse depuis les années 2010, celles de la crise, toute “reprise” reste pour l’instant fort timide.

Sinon le lac, lieu-dit paisible et pourtant, est capable de toutes les colères, ses habitants, ses héros, deviennent ainsi parfois aussi… ses victimes. Ágrafa, monts autant de modestes paysans et de travailleurs à l’histoire parfois oubliée. Il y a toutefois ce monument en souvenir des naufragés de 1959, à l’entrée du village de Neochóri. Ombragé par la beauté incomparable du paysage, le naufrage de 1959 aura presque disparu de la mémoire collective, bien qu’il s’agisse du plus terrible naufrage jamais vu sur un lac grec.

Monument dédié aux naufragés de 1959. Neochóri, août 2019

Ainsi, pour les villages voisins toutefois, le 5 décembre reste toujours un moment de deuil. C’est en ce funeste jour du 5 décembre 1959 que les eaux froides du lac sont devenues la tombe humide de vingt ouvriers et employés à son aménagement, travaillant à la construction du barrage.

La nuit fatidique de la veille de Saint-Nicolas, ces ouvriers ont décidé de quitter Tsardáki, plus à l’Est sur le lac, pour atteindre Neochóri. Le seul trajet supposé court était la traversée en embarcation ; cependant, le mauvais temps y sévissait. D’autres habitants ont insisté pour ne pas tenter une telle traversée du lac, sauf que ces hommes désiraient ardemment être chez eux pour la fête qui s’annonçait.

Ils sont donc montés à bord de l’embarcation d’Iraklís Mitsoyánnis, mais avant d’atteindre le milieu de leur traversée, le petit bateau n’a pas résisté aux vents violents. Tout à coup, ses passagers se sont retrouvés dans les eaux glacées du lac sans moyen de sauvetage. D’ailleurs, personne parmi eux ne savait nager. Culture locale, qui plus est montagnarde et non pas îlienne, y oblige.

L’embarcation d’Iraklís Mitsoyánnis en 1959

En quelques instants seulement, le lac devint donc leur tombe humide. Depuis, les habitants préfèrent alors dire que les leurs se sont sacrifiés pour avoir mené à bien et jusqu’au bout ces grands travaux. Leurs corps ont été retirés des fonds par des groupes de plongeurs de l’Armée. D’où également depuis, leur monument inauguré à l’entrée du village de Neochóri. Pays montagneux au vignoble exigeant, comme pays humain aux faits rudes.

Ironie de la topographie historisée de la sorte, cette traversée à jamais inachevée des ouvriers et habitants entre Tsardáki et Neochóri, correspond d’ailleurs fidèlement au tracé de l’aérodrome Neráïda, le seul aérodrome de la Résistance ayant fonctionné en Grèce entre 1941 et 1944,également construit par les habitants.

Avion britannique sur l’aérodrome de Neráïda en 1943

On l’avait aussi dénommé “aérodrome fantôme”, ceci parce que les Allemands n’ont pas réussi à découvrir son emplacement pendant plusieurs semaines. En 1943 donc, les Alliés jugèrent nécessaire de construire un aérodrome, facilitant la communication entre les Balkans et le Moyen-Orient.

Pendant l’été de cette même année, l’accord d’adhésion de l’ELAS, principale organisation militaire des résistants procommunistes, au commandement allié et britannique du Moyen-Orient avait été signé. La construction d’un aéroport servirait donc la coopération entre les Alliés et ELAS. L’emplacement émergeant comme idéal, était naturellement le plateau de Nevrópolis, culminant à 800 mètres d’altitude dans une région qui était déjà un lieu de la Résistance.

Le nom de l’aérodrome vient du village voisin de Neráïda, où résidait d’ailleurs le chef de la mission alliée, le Britannique Edmund Charles Wolf Myers. La conception de l’aérodrome avait été l’œuvre des ingénieurs G. Vlávos et L. Samouilídis. Durant l’été 1943, un groupe de résistants et d’habitants travailla d’arrache-pied et transforma le plateau en un petit aéroport de fortune. Il s’agissait d’une longue et large piste et d’une plus petite, verticale. Le capitaine anglais Denis Hampson était le responsable du projet.

Atterrissage de l’avion de la mission Soviétique. Plaque commémorative, août 2023

Le soir du 9 août, l’aérodrome a été en quelque sort inauguré. C’est alors que le premier avion militaire allié y a atterri en provenance du Caire. Plus tard, des parachutistes et des militaires Soviétiques y ont également atterri, toujours de nuit. Chaque fois, peu avant l’aube, une équipe d’ELAS transportait des arbres des environs et les plantait sur la piste d’atterrissage. Les vols n’ont eu lieu que de nuit et à des heures précises.

À l’approche des avions, les combattants de l’ELAS étaient alertés par radio et aussitôt, ils allumaient leurs lampes de fortune. L’opération avait été couronné de succès, le tout, sous le nez des Allemands, et c’est pour cette raison qu’entre l’hiver 1943 et le printemps 1944… afin de se venger des résistants, les forces Allemandes ont incendié tous les villages environnants.

Le bistrot et la petite plage aménagée près du lac. Septembre 2022

L’aérodrome se trouve actuellement au même emplacement, mais sous l’eau du lac. Dans sa partie non immergée, on y découvre depuis les années 1980 un bistrot, dont la terrasse donne sur une petite plage aménagée aux bords du lac. Et l’on peut apercevoir à proximité, une plaque apposée par ceux du PC grec, commémorant de manière plutôt sélective l’unique alors atterrissage de l’avion de la mission Soviétique, c’était le 28 juillet 1944.

Sinon, en ce pays montagneux aux faits rudes, le vin est comme on dit, intéressant. La petite production locale est parfois exportée, aux cépages il faut préciser parfois rares, voire uniques, et les viticulteurs font alors de leur mieux. “Notre village a beaucoup souffert, nous devons alors conserver le goût de la vie comme celui de notre petit mais en réalité grand vin. Leur cépage avait été d’après l’histoire retenue, introduit par un Seigneur Franc, de passage il y a plus de sept siècles”, aléas… alors de l’histoire compris.

Vin local… et son chat gardien. Près du lac Plastíras, août 2022

Pays donc montagneux, aux faits disons rendus parfois encore plus rudes qu’ailleurs. Sur ces lieux, on commémore désormais autant ces pauvres soldats et cadres de l’Armée italienne, plus précisément ceux de la Division Pinerolo, passés aux côtés de l’ELAS, ayant refusé de rejoindre les Allemands après l’armistice, suite à la Proclamation du Général Badoglio le 8 septembre 1943, un thème que nous avons déjà évoqué.

Désarmés et livrés à leur sort suite au retrait de l’ELAS vers des positions plus sûres, ils ont été décimés par la famine et les maladies. Plus de mille Italiens ont tragiquement péri, puis enterrés dans la région.

Leurs ossements, ils ont été enfin rapatriés par les autorités italiennes en 1956. Ils ne sont pourtant pas oubliés ; à part leur monument construit près du lac, tous les ans, les communes de la région ainsi que l’Ambassade de l’Italie, organisent leurs journées de la mémoire, émouvantes et nécessaires.

Vin local. Près du lac Plastíras, août 2019

“Le souvenir des Italiens qui vivaient dans nos villages est toujours vif” peut-on lire dans les chroniques locales. “Beaucoup de gens d’ici se souviennent que les grenouilles, les tortues et les hérissons avaient disparu, ils constituaient un excellent mets pour eux et autant une grande surprise pour nous. D’autres se souviennent encore de leurs prénoms. Franco et Dini étaient hébergés chez les Kaperónis, puis un Giovanni chez Vangélis Tátsis, et un autre Giovanni chez les Theodórou.”

Giovanni Di Mari de Milan, lequel avait contracté une pneumonie, a été guéri, hébergé chez Giórgos Tsiólas. Il avait ensuite entretenu une correspondance élémentaire avec la famille Tsiólas pendant plusieurs années. Ses lettres étaient traduites par G. Kostákis et celles reçues en Italie par un hellénophone de Milan. Mario, charpentier tout comme ses hébergeurs, les frères Goúsias, avait alors composé un incroyable duo avec le frère aîné de Théodose, en créant des blagues et des sketches improvisés.

Pendant quelque temps, les résistants séjournaient au sein du monastère de la Sainte Trinité, et un médecin italien qui y était présent, soignait également les habitants du village. Contrairement aux Italiens ayant été intégrés dans la vie et la société du village, au même moment, dans la cabane d’Apóstolos Katsótis, Johann, un officier Allemand blessé et fait prisonnier, n’acceptait alors aucune aide et n’a aucunement souhaité avoir le moindre contact avec la population locale. Puis, quelque temps après, il est mort.

Ágrafa, village de la région, entouré de montagnes. Août 2019

“Depuis ces temps, le vocabulaire des villageois a été enrichi de plusieurs mots italiens lesquels ont été introduits à l’occasion, et ainsi de nombreuses mères faisaient après-guerre la leçon à leurs enfants… pour “mangiare” ou pour “dormire”, tandis que d’autres au village, s’écriaient à l’occasion de chaque moment festif… Bella Grecia !”.

Au-delà de la période du joug Ottoman et de la Seconde Guerre mondiale, Ágrafa, tout comme l’ensemble de la région du Pinde, ont aussi offert refuge… mais décidément moins garanti, aux combattants communistes de la Guerre civile grecque, entre 1946 et 1949 et ceci surtout, durant sa dernière phase entre 1947 et 1948.

En ces lieux… frappés par une terrible tempête de neige. Niála, août 2019

On y découvre alors sur place un autre lieu de mémoire, cette fois issu de cette période si funeste pour le pays, à mi-chemin entre le lac Plastíras et le village d’Ágrafa, en empruntant une route difficile et rocailleuse qui nécessite de quitter la chaussée… approximativement goudronnée, pour enfin atteindre les hauteurs de Niála, sous le sommet raide de Katarahiás qui culmine à 1997 mètres d’altitude.

C’est en ces lieux, qu’au 12 avril 1947, lors d’une terrible tempête de neige, la veille de la Pâque Orthodoxe, de nombreux combattants de l’Armée communiste, accompagnés de leurs familles pour certains d’entre eux, ont tenté le passage désespéré par le col de Niála, entre les villages Vragianá et d’Ágrafa. Tout avait gelé, car le froid fut glacial, vêtements, manteaux militaires et alors armes. Certains combattants se sont suicidés, d’autres se tenaient par la main pour passer le col sous un vent alors horrible et souvent mortel.

Vassiliki Rágia, et ses enfants, Ioulía et Yánnis

Les témoignages recueillis par la suite évoquent les morts, ceux qui sont tombés dans le ravin ainsi que les autres victimes, morts de gèle. Parmi eux, une femme, avec ses deux enfants, un garçon et une fille. Elle était assise sur un rocher, ses enfants dans ses bras. Ils étaient tout blancs, comme du marbre. Ils étaient gelés, elle, tout comme ses enfants.

Elle s’appelait Vassilikí Rágia, et ses enfants, Ioulía et Yánnis. Reste pourtant cette plaque commémorative. “En cette position, frappés par une terrible tempête de neige, sont tombés des combattants de l’Armée communiste, ceux de l’Armée gouvernementale et des civils, le 12 avril 1947. Promeneur de passage, laisse ici une fleur, pour tous ceux… si injustement perdus par la Guerre civile”.

Evangelía Kousiántza institutrice, née en 1918 à Palamás en Thessalie.
Exécutée à Lamia, le 9 mai 1947

Un peu plus loin, la même nuit, les combattants communistes et gouvernementaux ont dormi ensemble sous les mêmes tentes pour ne pas mourir de froid. Mais le lendemain, cette unique fraternisation a pris fin ; de nombreux combattants communistes ont même été arrêtés et certains exécutés six jours plus tard, emmenés dans la ville de Lamia.

Parmi eux, l’institutrice Evangelía Kousiántza, dont le courage est parfois souligné lors des… reportages disons commémoratifs actuels, surtout émanant de sa famille politique. Elle avait été… la première institutrice de ma mère, au bourg de Palamás durant les années de l’Occupation.

“En ces lieux, se sont-ils retrouvés et ils ont fraternisé”. Niála, août 2019

Une plaque un peu plus loin rappelle alors les faits. “En ce lieu, ils se sont retrouvés et ils ont fraternisé sous les tentes, combattants communistes et soldats de l’armée régulière le 12 avril 1947.”

Un autre monument près du lac rappelle à son tour… tout le sacrifice, ainsi que le nombre si important, chez les combattants de l’Armée régulière, originaires de la région qui sont tombés durant la Guerre civile… luttant contre leurs compatriotes communistes.

Mémoire des soldats de l’Armée régulière, tombés durant la Guerre civile. Ágrafa, mai 2022

L’histoire prend quelquefois ses positions… intenables sur les hauteurs, dans un futur même que l’on dit imprévisible. Contrées certes belles, mais comme on sait, quasiment vidées de leurs habitants.

On y rencontre surtout les animaux, leurs bergers, puis, ici ou là, quelques visiteurs consciemment égarés.

La… rencontre avec le chat sauvage. Lac Plastíras, mai 2023

Parmi ces animaux, à part l’ours… croisé sur notre route par le passé, nous avons eu… l’honneur de rencontrer un authentique chat sauvage. Les heureux participants au circuit de “Grèce Autrement” ont plus qu’apprécié cette… confrontation.

De nos jours, un projet pharaonique d’installation d’éoliennes est en cours dans cette région montagneuse, dont l’autonomie et l’autogestion furent même respectées par les Ottomans ! Mais… c’est de la modernité qu’il s’agit, et l’opposition locale n’a guère fait le poids.

La… rencontre avec le chat sauvage. Lac Plastíras, mai 2023

Le décret impose sans la moindre consultation des habitants, la construction de deux immenses parcs éoliens. Faisant suite à plusieurs ajournements et rejets, le ministère de l’Environnement et de l’énergie a finalement accordé la licence d’installation aux deux projets éoliens géants dans cette région d’Ágrafa. Donc acte.

De son côté, le “Collectif de citoyens pour la protection de l’environnement” de la région Evritanía et Ágrafa rappelle d’abord, “que le cœur de ce grand ensemble montagneux Natura 2000 du Pinde, se situe très exactement à Ágrafa”.

Sauvons Ágrafa. Lac Plastíras, août 2019

En avril 2019, les membres du club alpin de Karditsa, la ville thessalienne la plus proche côté pleine, se sont même rendus à Niála “en pèlerinage actif”, dépliant leurs banderoles: “Non aux éoliennes, sauvons Ágrafa”. Voilà pour le dernier épisode en date en ce “balcon de la Thessalie” aux bourgades… décidément “non-inscrites” aux bons registres des autorités centrales.

Plusieurs installations d’éoliennes ont été déjà édifiées en 2023, aux sommets vierges de la région d’Ágrafa et ceci d’ailleurs à une altitude inhabituelle en Grèce, tout comme dans le reste du monde, se situant entre 1600 et 2100 mètres, de surcroît près de la chapelle de Saint-Nicolas, protecteur des bergers.

Chapelle de Saint-Nicolas. Ágrafa, août 2022

Ágrafa, très belle région, celle du regretté Général Plastíras et de son autre grand héros, Geórgios Karaïskákis… de la lointaine Guerre d’Indépendance grecque.

Entre la Thessalie occidentale et l’extrémité nord de l’Eurytanie en Grèce-Centrale, ces montagnards auront décidément toujours lutté contre les éléments, humains comme d’ailleurs naturels, aléas de l’histoire compris. Comme ils l’ont pu.

Une vieille femme de la région, dubitative. Lac Plastíras, août 2019

Le lac, les montagnes, leurs lieux dits paisibles et pourtant dotés de toutes leurs colères, leurs habitants, leurs héros, ou sinon leurs martyrs. Ainsi à Ágrafa, loin des foules et des plages, une vieille femme de la région se montrée alors dubitative quant aux suites pressenties pour la région, histoire sans doute de prendre de la… hauteur, entre le passé et l’avenir.

Au bout de la piste non goudronnée. Ágrafa, août 2022

Puis, au village même d’Ágrafa, au bout de la piste non goudronnée, on tombe sous regard d’un animal plutôt maître des lieux, aléas de l’histoire compris. Bella Grecia!!!

Un animal maître des lieux. Ágrafa, août 2019

* Photo de couverture: En ces lieux… de nature de mémoire. Niála en Pinde méridional, août 2019



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Notes

  1. Κλέφτες: Montagnard insurgé de la Grèce sous domination turque, qui tirait ses ressources du brigandage.