Le jour du Non
Le pays grec célèbre sa journée de fête nationale au 28 octobre. C’est sa deuxième grande commémoration annuelle, car la première celle du 25 mars, honore les débuts de la Révolution des Hellènes contemporains, autrement-dit, la Guerre d’Indépendance grecque de 1821 pour se libérer du joug des Ottomans. De manière plutôt… inhabituelle, le 28 octobre exalte les débuts de la Seconde Guerre mondiale pour la Grèce et non pas sa fin.
Fête nationale du 28 octobre en mer Égée, années 2010
Mais voilà qu’avant la guerre fratricide, le 28 octobre 1940 fut cette première grande journée de la mobilisation générale et de tout bord, pour que la guerre commence vraiment du côté grec. Connue sinon sous son autre désignation “Le Jour du Non”, c’est en premier lieu ce grand moment d’union nationale qui marque le rejet de l’ultimatum de Mussolini du 28 octobre 1940. Rejet d’abord par Ioánnis Metaxás, général autocrate et Premier ministre d’alors qui fut par la suite le “Non” du peuple grec.
D’après le récit de l’historien et ami Olivier Delorme, dont d’ailleurs son travail sur la Grèce contemporaine est ici chaleureusement salué pour sa richesse et autant pour sa justesse, en ce qui concerne le régime du général Metaxás,“il est évident que pour des raisons patriotiques, dut dire Non à l’Italie fasciste qui l’agressait pour des raisons de susceptibilités mussoliniennes, mener la guerre contre elle, puis finalement, au printemps 1941, affronter l’invasion allemande”.
“Rappelons aussi que les victoires grecque sur l’Italie furent les premières remportées contre l’Axe, et qu’elles forcèrent Hitler à venir en aide à son allié repoussé loin à l’intérieur de l’Albanie, au printemps 1941, de sorte que la résistance des Gréco-Anglo-Néo-Zélandais, en Grèce continentale d’abord, puis en Crète, forcèrent Hitler à différer le déclenchement de l’opération Barbarossa contre l’URSS et empêchèrent les Allemands d’arriver devant Moscou avant l’hiver. Ce que Churchill considéra comme le premier tournant de la guerre”.
Mobilisation générale. Grèce, octobre 1940
“Le 10 juin 1940, Mussolini avait voulu voler au secours de la victoire allemande afin de profiter lui aussi de la défaite française. Mais les Italiens avaient été contenus partout, et le Duce estima, à l’heure de l’armistice franco-italien du 24 juin, que le Führer n’avait rien fait pour que l’Italie obtînt son dû, alors que l’URSS profitait de la défaite française pour mettre la main sur la Bessarabie et la Bukovine du Nord !”
“Le Duce voulait donc sa revanche, et son état-major lui assurait que l’invasion de la Grèce ne serait qu’une promenade de santé. Entre l’Albanie et les bases aéronavales de Tarente et du Dodécanèse, l’Italie disposait de toute la logistique nécessaire à une telle opération. Quant à l’Angleterre, elle n’aurait pas même le temps d’intervenir avant l’entrée du Duce à Athènes. En eût-elle le désir, au risque d’affaiblir la défense de Suez, alors que la Syrie et le Liban sont restés dans l’obédience de Vichy, et que, le 3 juillet, les Britanniques désarment sous la menace la flotte française d’Alexandrie – ou détruisent celle de Mers el-Kébir”.
Mobilisation générale. Grèce, octobre 1940
“Son régime est anticommuniste, idéologiquement proche de l’Axe et son économie très liée au Reich qui, au moment où il prépare pour le printemps l’invasion de l’URSS, souhaite éviter les turbulences dans la région, voire une intervention soviétique dans les Balkans que pourrait provoquer une attaque italienne en Grèce. Le 4 octobre 1940, lors d’une rencontre au Brenner, Hitler interdit donc toute initiative à Mussolini. L’Italien tente de convaincre l’Allemand qu’il est capable de régler rapidement le sort de la Grèce, mais il se heurte à une fin de non-recevoir”.
“Puis, dans les jours qui suivent, il apprend l’entrée des nazis en Roumanie… sans qu’Hitler ait cru bon de l’en informer. Ciano, qui considère la guerre contre la Grèce comme une formalité et qui en parlera devant Emanuele Grazzi, son ambassadeur à Athènes, comme de la mia guerre, rapporte dans son Journal la réaction ulcérée de son beau-père : -Hitler me met toujours devant le fait accompli ! Je vais le payer cette fois-ci de la même monnaie. Il va apprendre par les journaux que je suis entré en Grèce. Ainsi l’équilibre sera rétabli”.
Mobilisation générale. Grèce, octobre 1940
Après, n’oublions pas que la géopolitique de la petite Grèce des années 1936 à 1941, demeurait historiquement et ainsi dans les faits, sous le contrôle de la puissance britannique. Et à en croire certaines indiscrétions des sources historiques, c’est peut-être même Londres qu’aurait plutôt poussé, directement ou indirectement, l’Italie de Mussolini à attaquer la Grèce, de concert on dirait avec Galeazzo Ciano l’homme politique italien, gendre de Benito Mussolini et personnalité majeure du régime fasciste ayant possiblement eu certains liens avec la partie britannique.
De toute manière il est du moins avéré avec certitude qu’en fin de compte, renforcé dans son opinion par les rapports du ministre des Affaires étrangères Gian Galeazzo Ciano, le Duce était convaincu “que l’opération serait favorisée par la corruption des hommes politiques grecs, par le mécontentement des frontaliers – qu’il imaginait prêts à soutenir l’envahisseur. – et, plus généralement, par la faiblesse militaire hellénique”. Ça ne s’est pas passé comme ça.
Yórgos Séféris, diplomate et poète. Années 1930
C’est très exactement ce que Metaxás tentait d’accomplir pour que son pays ne sombre pas davantage dans la conflagration. Sauf que Metaxás a été emporté par une étrange et galopante infection… fin janvier 1941, au sommet il faut dire de sa gloire.
Retour aux faits initiaux. Vers trois heures du matin en ce 28 octobre 1940, Emanuele Grazzi, Ambassadeur d’Italie se rend au domicile privé du Général Ioánnis Metaxás. La Grèce est gouvernée sous sa dictature depuis 1936, mais en réalité, il s’agit d’une autocratie initiée ou du moins validée par le Palais et par le Chef des Armées, le Général Papágos.
Soldats grecs près du front. Grèce et Albanie, 1940-1941
La scène se déroule dans le quartier bourgeois de Kifissiá, au nord d’Athènes. Grazzi est porteur de l’ultimatum, exigeant la “liberté de passage” pour l’Armée italienne en Grèce ainsi que l’occupation de nombreux lieux et d’infrastructures stratégiques du pays. Metaxás, très ému, s’y oppose catégoriquement ayant notamment prononcé cette phrase en français “Alors c’est la guerre”, suivie d’un “Non, c’est impossible”, lorsque l’Ambassadeur Grazzi insiste en arguant que “la guerre aurait pu être évitée par l’acceptation bien entendu de l’invasion et de l’occupation” du pays.
Dans les faits, avant même l’expiration de l’ultimatum à 6h00 du matin du 28 octobre 1940, l’Armée italienne pénètre en territoire grec par la frontière albanaise, puisque l’Albanie était déjà un protectorat de l’Italie de Mussolini.
Ioannis Metaxás commémoré pour son Non. Macédoine grecque, 2023
Metaxás avait, il faut dire, prévu le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, et même, il s’attendait autant à l’attaque de Mussolini. Il avait d’abord et surtout pris sa décision, celle qui s’imposait en pareilles conditions, à ne pas céder, tout en préparant dans la mesure du possible la Grèce et son armée devant le conflit qui se profilait.
Rappelons seulement qu’entre 1923 et 1935, les dépenses militaires se sont élevées à trois milliards de drachmes, tandis que pour la période 1936-1940 précisément sous Metaxás, plus de quinze milliards de drachmes ont été attribués pour mieux armer le pays.
“Ma décision sera terrible au cas où l’Italie nous menacerait, ma décision c’est de résister jusqu’au bout”, voilà ce que Metaxás écrivait dans son “Journal personnel”, aux dates du 17 mars et du 9 avril 1939, publié à Athènes en 1960.
Le 15 août 1940 déjà, le sous-marin italien DELFINO, coule le croiseur grec ELLI… en temps de paix. Le croiseur, alors ancré dans le port de Tínos, escorte un bateau de pèlerins qui participent à la fête de la Dormition de la Vierge, la plus grande fête chez les Grecs orthodoxes après celle de la Pâque et avant celle de Noël. Lors de l’explosion du navire, neuf marins et officiers sont tués et 24 autres sont blessés.
Le croiseur grec ELLI, coulé le 15 août 1940
La présence traditionnelle et d’ailleurs officielle du croiseur lors de la grande fête de la Dormition, puis sa perte, devient l’élément catalyseur qui par la suite, fera souder le pays lors de son effort de guerre. De ce point de vue déjà, la guerre psychologique sur le terrain grec était d’emblée perdue pour Mussolini, sauf qu’il l’ignorait visiblement.
Emanuele Grazzi de son côté, avait pourtant et clairement averti ses supérieurs, comme déjà évoqué. Les tensions entre son pays et la Grèce avaient renforcé le sentiment patriotique de la population et finalement, en cas d’attaque, les Grecs allaient opposer une véritable résistance armée. Cependant, ce point de vue était en contraste bien frappant avec les vues de Mussolini et en particulier, avec celles annoncées par Ciano.
La maison de Yórgos Séféris. Athènes, 2023
La mobilisation générale, en somme populaire du 28 octobre 1940, a quasiment surpris tout le monde. Certains germanophiles qui servaient au régime de Metaxás ne savaient plus comment réagir. Yórgos Séféris nous a laissé un texte édifiant car de l’intérieur, issu de son “observation participante” durant toute cette période, sous le titre: “Manuscrit – Septembre 1941”.
“Je n’avais pas de parti, ni chef, ni camarades. Je lisais les journaux grecs seulement par l’obligation qui m’était faite par mon service. Je me souvenais de cette phrase lue dans un roman, prononcée par un soldat de la Guerre de 1914. – Le garde-à-vous est une attitude distante. Par la soumission, j’exécutais alors ma tâche qui m’a été donnée par l’État. Je n’avais aucune préférence politique, je les voyais tous pareils à eux-mêmes, vides, insignifiants, nuisibles”.
“Un monde étranger, un monde qui m’est vraiment extérieur. Ni ceux du gouvernement, ni ceux de l’opposition à la dictature, ne m’étaient sympathiques. Je ne voudrais voir aucun des chefs politiques commander notre navire, ni Metaxás d’ailleurs. Le seul appui populaire de Metaxás fut la lassitude des gens, il n’avait pas le peuple de son côté”.
Plaque posée à la maison de Yórgos Séféris. Athènes, 2023
“La période de la neutralité, 1939-1940, avait été éprouvante, et pour moi, elle fut même bien lourde. Les instructions étaient – Attitude exemplaire envers tous les belligérants. J’étais d’accord avec cette politique. Nous ne pouvions guère faire autre chose. Lorsque l’Italie est entrée officiellement dans la guerre ; car Mussolini déclara la guerre à l’Angleterre et à la France le 10 juin 1940 à la veille de l’entrée des Allemands dans Paris, notre situation est devenue insupportable”.
“Les officiels Italiens donnaient volontairement l’impression que nous étions leurs asservis. Le correspondant de l’Agence de presse Stefani, un certain Ceresole se comportait envers nous à la manière d’un patron. Je tentais à le maintenir si possible”.
Fort Roupel de la ligne Metaxás. Macédoine grecque, 2023
“Ce mensonge était si grossier que je l’ai censuré. Aussitôt, je reçois un coup de téléphone, directement d’Emanuele Grazzi. – Bonsoir cher collègue – me dit-il sèchement – J’apprends que vous avez censuré un télégramme de M. Ceresole. Eh bien, je vous avertis que, si vous ne laissez pas passer, je l’enverrai signé par moi-même”.
“-Nous verrons si vous oserez l’arrêter de nouveau. Jamais dans toute ma carrière je n’avais tant fait l’effort de rester calme. Je me sentais comme après avoir reçu une gifle. J’ai répondu – Les télégrammes signés par vous Monsieur le Ministre, ne sont pas de ma compétence. Et j’ai raccroché”.
“Je me suis rendu au bureau de Theológos Nikoloúdis, je lui ai tout raconté en ajoutant – Si ces gens continuent à nous humilier de la sorte… alors Monsieur le Ministre, nous devrions renter chez nous, vous et moi d’ailleurs”.2
Fort Roupel de la ligne Metaxás. Macédoine grecque, 2023
“En ces durs moments, Metaxás avait raison. Nous devrions reculer et subir, jusqu’au jour où nous serions attaqués ouvertement pour alors seulement, nous défendre par tous les moyens. C’était aussi mon opinion. Je voudrais préciser qu’à l’époque, personne, ni même les plus fous parmi nous, ne s’attendaient à cette explosion miraculeuse de l’âme du peuple grec et encore moins aux victoires de l’armée grecque sur le front de l’Albanie contre l’armée italienne”.
“Depuis, je me suis forgé cette certitude alors profonde. Cette Grèce ayant engendré le 28 octobre 1940 était une autre Grèce, distincte et étrangère à tous ces Messieurs du personnel politique, appartenant ou pas, au régime de Metaxás. Et lorsque la guerre a éclaté, je pensais souvent à toutes ces phases et basculements psychologiques du destin de cet homme ayant dit NON à 3h du matin à l’Ambassadeur d’Italie”, Yórgos Séféris, “Manuscrit – Septembre 1941”.
Fort Roupel de la ligne Metaxás. Macédoine grecque, 2023
Sur le “col 731”, ainsi que sur les collines voisines, les hommes du 5e Régiment de la Première Division, issus principalement de Kardítsa et de Tríkala, commandés par Dimítrios Kaslás, y combattirent jusqu’à la nuit du 12 au 13 mars, quand celui-ci fut remplacé en raison des pertes, par le 19ème Régiment de la Division Sérres. En face d’eux, se trouvait le 8e corps d’armée italien, composé de quatre divisions et de deux bataillons de Chemises Noires.
La colline fut tenue par les fantassins de Thessalie et essentiellement par ceux de ma région de Tríkala, ce n’est donc pas un hasard si un monument aux morts de cette “bataille du 731”, est érigé à l’entrée de la ville de Tríkala, en 2013.
Ensuite, ce sont les défenseurs grecs de la ligne des fortifications construite par Metaxás, une sorte de Ligne Maginot près de la frontière avec la Bulgarie, qu’ont mis les combattants de la Wehrmacht en difficultés comme notamment lors de la bataille de Roupel entre le 6 et le 9 avril 1941, sans pour autant pouvoir modifier le cours de cette… nouvelle guerre.
Monument de la bataille du 731. Tríkala en Thessalie, 2023
Pour les Grecs donc, le 28 octobre 1940, sa commémoration, sa fête nationale, reste synonymes du “NON”, celui de la dignité, de la résistance et de la liberté. Sa mémoire immédiate a d’ailleurs été même célébrée pour la première fois sous l’Occupation.
Près du Fort Roupel de la ligne Metaxás. Macédoine grecque, 2023
Pour le deuxième anniversaire, le 28 octobre 1942, la célébration s’est tenue sur la place de la Constitution, Sýntagma, à Athènes, à l’initiative des organisations EPON des jeunes résistants de gauche et de PEAN des jeunes résistants de droite. Enfin, pour la première fois, cette journée désormais historique a été célébrée officiellement le 28 Octobre 1944, par un défilé devant le Premier ministre de la Libération, Yórgos Papandréou.
Notons tout de même, qu’au-delà de la réaction de Metaxás au 28 octobre 1940, la Grèce très officielle du Palais et de son état-major, étaient plutôt défaitistes. Car l’Armée “d’en haut” était contrôlée par le Roi Georges II, c’est-à-dire par Londres, et non pas par Metaxás.
Charálambos Katsimítros, au milieu sur la photo. 1940
Papágos et ses estafettes, devaient se rendre compte que les Italiens étaient au courant du plan secret grec et que leur objectif était d’occuper rapidement l’Épire, ce que le plan “grec” ou peut-être britannique alors concédait. L’ambassadeur anglais en poste en Grèce, Sir Michael Palairet, dans son télégramme d’Athènes du 28 septembre 1940, publié dans les archives du Foreign Office, informa son gouvernement “que le chef d’état-major général, le général Papágos, était disposé, si cela était jugé nécessaire, que de céder l’Épire aux Italiens”. Par conséquent, lorsque Papágos a ordonné aux unités grecques sur le terrain “à se contracter”, il servait les plans italiens… ou éventuellement indirectement anglais.
Sauf que sur le terrain justement et sous l’impulsion de Metaxás, servaient également le lieutenant-général Vassílios Vrachnós ainsi que le Général Charálambos Katsimítros, commandant la 8e Division d’infanterie de Épire, basée à Ioannina. Et ce général issu du “bas peuple”, avait pris la décision d’organiser la défense avancée et surtout, de tenir Elaía ou Kalpáki, malgré et contre les instructions contraires de l’état-major.
Ainsi, il a réussi à le défendre contre des attaques répétées jusqu’au 9 novembre. De cette manière, il parvint à contenir l’offensive italienne dans le secteur de l’Épire et gagna un temps précieux jusqu’à l’arrivée des renforts grecs issus de la mobilisation générale.
Mobilisation générale, acteurs et artistes. Grèce, octobre 1940
Car pour commencer, Papágos fut un enfant de la Grèce “d’en haut”, pour bien dire du Palais. Né à Athènes en 1883, il a grandi au sein d’une famille aisée qui entretenait des relations étroites avec la famille royale. Sur le papier, son père était le chef d’état-major du ministère de la Défense, le lieutenant-général Leonídas Papágos. Mais on suppose chez les historiens… qu’il pourrait être plutôt le fils non-reconnu officiellement du Roi Georges Ier.
Papágos a d’abord étudié pendant deux ans, de 1902 à 1904 à l’école militaire de Bruxelles et entre 1904 et 1906, à l’École de cavalerie du ministère de la Défense à Ypres. Militaire exclusif des bureaux, il a été nommé par George-II Chef d’état-major général de l’armée le 1er août 1936, trois jours avant les débuts du régime de Metaxás, lequel était déjà nommé Premier ministre il faut le dire par l’Assemblée nationale, au Printemps de la même année.
Aux antipodes du cas Papágos, Charálambos Katsimítros est né dans un village de montagne d’Evritanía en Grèce Centrale, à Klítsos près de Fourná en 1886, et alors enfant d’une famille pauvre, il s’engagea dans l’armée en tant que volontaire. Ensuite, après être passé par l’École des sous-officiers en 1911, car Katsimítros ne fréquenta pas les écoles étrangères et ne fut pas promu par les… “spécialistes” ayant leurs entrées à la Cour, il devient général sur le champ de bataille, toujours en première ligne entre 1912 et 1940. Promu déjà colonel en 1930 et lieutenant général en 1937 par Metaxás, ce dernier le nomme enfin en 1938, commandant de la VIIIe division d’infanterie en Épire.
Au contraire et même malgré Papágos, Katsimítros dans son “Ordre du Jour” au 30 octobre 1940 soulignait surtout ceci : “C’est à partir d’aujourd’hui que notre Division doit tenir ses positions organisées par toutes ses forces. Ainsi, à tout endroit, le combat décisif contre l’ennemi sera notre unique but. Et s’il le faut, nous tomberons tous”. Telle fut la doctrine Katsimítros, en complet contraste avec les chefs défaitistes de l’état-major général, installé déjà à l’Hôtel Grande-Bretagne à Athènes.
De ce fait, le soldat de terrain Katsimítros savait que comme depuis toujours en ce pays, il devait se défendre sur les détroits. Cela a également été d’ailleurs parfaitement compris par le lieutenant de réserve Odysséas Alepoudélis, le poète Prix Nobel de Littérature en 1979, après Séféris qui l’a précédé en 1963, Odysséas Elýtis de son nom de plume, lequel a écrit: “C’est à ces détroits que j’ai ouvert les mains – C’est à ces détroits que j’ai vidé mes mains”.
Odysséas Elýtis, au milieu sur la photo. 1940
Sous le feu des batteries d’artillerie italiennes qui pilonnent les positions grecques, Elýtis reste d’abord cloué au sol, blessé au dos par des éclats d’obus. Puis, dans les conditions d’hygiène lamentables, il est autant victime d’un cas sévère de typhus. Évacué vers l’hôpital de Ioannina le 26 février 1941, il lutte durant plus d’un mois contre la mort ; et il a témoigné lui-même de cet épisode dramatique.
“Faute d’antibiotiques à cette époque, la seule chance de salut contre le typhus résidait dans la résistance de l’organisme. Il fallait patienter, immobile, avec de la glace sur le ventre et quelques cuillerées de lait ou de jus d’orange pour toute nourriture, pendant les jours interminables où perdurait une fièvre de 40° qui ne baissait pas”. Après une phase d’inconscience et d’hallucination, où les médecins l’ont cru perdu, Elýtis miraculeusement se rétablit.
Mímis Pierrákos premier assis à gauche sur la photo. 1939
28 octobre alors, et comme me le disait un militaire à la retraite habitant une paisible contrée du Péloponnèse, “Elles nous restent nos commémorations, émouvantes malgré tout. Le Jour du Non, le nôtre !”
Visiblement, cette Grèce ayant engendré le 28 octobre 1940 était une autre Grèce, distincte et étrangère à tous ces Messieurs du personnel politique, appartenant ou pas, au régime de Metaxás.
Ioánnis Metaxás, sa famille et son chat. Années 1930
* Photo de couverture: Soldats grecs au front. Guerre gréco-italienne, 1940-1941
Notes
- Emanuele Grazzi, “Il principio della fine – l’impresa di Grecia”, Faro 1945. ↩
- Theológos Nikoloúdis né en 1890, était un journaliste et aussi un homme politique. En 1936, il assume le poste de vice-ministre de la Presse et du Tourisme dans le gouvernement de Metaxás, service auquel Séféris était rattaché à l’époque et après l’invasion allemande en avril 1941, il s’enfuit à l’étranger en tant que membre du gouvernement en exil. Il revient après la fin de la guerre à Athènes où il mourut à l’âge de 56 ans le 8 novembre 1946. Son assistant immédiat était donc Geórgios Seferiádis, un diplomate de carrière inconnu – à l’époque – de beaucoup de monde, mais bien connu déjà au sein des cercles littéraires sous le nom de Yórgos Séféris, lequel, notons-le, avait accepté avec un plaisir particulier son poste au ministère de la Propagande. D’après ce qu’écrit Séféris dans ses Mémoires, Nikoloúdis fut l’un des premiers à arriver au ministère des Affaires étrangères à l’aube de la déclaration de guerre entre la Grèce et l’Italie, le 28 octobre 1940, et ensemble ils rédigèrent le discours du roi George II. Enfin, Nikoloúdis fut le premier à arriver chez Metaxás à Kifissiá, peu après le départ de l’ambassadeur d’Italie Grazzi et reçut l’ordre de prendre en charge les annonces officielles correspondantes dans la presse quotidienne du lundi 28 octobre 1940, comme le note d’ailleurs Metaxás dans son Journal. ↩