L’autre… voyage !


Sous notre modernité si étendue depuis déjà un moment, le voyage en Grèce a constamment fasciné les esprits et autant mobilisé les moyens adéquats quant à ses multiples concrétisations. Le voyage, tout autant que son imaginaire sous-jacent, d’ailleurs véhiculé au sens sinon propre du terme, notamment avec l’avènement de l’automobile.

Carte routière de la Grèce. Club automobile hellénique, années 1930

Ainsi, dans les années 1920 et jusqu’aux années 1940, les clubs liés à l’automobile dans les pays… décisifs de l’Europe Occidentale, réalisent leurs premiers “raids touristiques” en terre de Zeus, même si les infrastructures routières… rien qu’entre Thessalonique et Athènes, n’ont décidément rien de comparable à ce qui se pratique alors ailleurs.

Pendant que les premières autoroutes voient le jour en Allemagne ou en Italie, et que les routes nationales françaises font déjà partie de la légende… toute incarnée en ce pays dit de cocagne ; en Grèce, les automobilistes fortunés il faut préciser, empruntent parfois encore la voie ferrée, là où le réseau routier demeure encore inachevé ou discontinu.

Athènes et ses… routes. Années 1900

Ce n’est qu’en 1937 que l’Organisme des chemins de fer du pays, annonce non sans une certaine fierté, que “le transport ferroviaire trouve son complément dans le transport routier et que désormais, le progrès dans les infrastructures routières fait enfin presque cesser, l’usage de la voie ferrée par les automobiles et par les camionneurs”.

Dix ans plus tôt, William Miller, journaliste et historien britannique, décrit dans son ouvrage “Greece”, publié à Londres en 1928, toute la nouvelle situation du pays que l’on dit enfin retrouvé, dont l’épisode de la lente et cependant significative évolution de son réseau routier.

Retrouvé et même “actualisé”, certes péniblement, après dix années d’affrontements, entre les Guerres balkaniques de 1912-1913, la Grande Guerre ayant divisé le pays déjà mentalement, la… ridicule Campagne en Russie méridionale fin 1918, ou sinon la Guerre gréco-turque en Asie Mineure, de 1919 à 1922.1

En région d’Épire avec l’Armée française. Années 1917-1919

Le plus grand changement apporté au voyage en Grèce en ces années-là, tient de l’introduction comme de l’usage de l’automobile, emploi alors autant publique que privé. Grâce à ces véhicules on peut atteindre Sparte en une journée, en empruntant d’abord le train et ensuite la voiture, quand par le passé et pour se rendre d’Athènes à Sparte, le voyage durait deux jours, d’abord par le train et ensuite en calèche”.

De même que pour visiter Delphes et son sanctuaire antique, il fallait entreprendre le voyage… impossible en bateau-vapeur jusqu’au port d’Itéa en Golfe de Corinthe et ensuite, monter en calèche ou sinon parcourir le dernier bout de chemin à dos de mulet. Désormais, on peut faire le déplacement à Delphes depuis Athènes, en un seul week-end”.

Pour tous ceux qui comme moi en 1894, ont parcouru le pays grec à dos de mulet, ce changement demeure à leurs yeux le plus marquant de tout ce qui s’est passé au pays depuis ces années-là. Certes, les routes grecques ne sont guère les meilleures, pour ce qui est de leur usage par les voitures, cependant, elles se sont remarquablement améliorées, rien que depuis deux ans. Ainsi, notons-le, la route vers Delphes qui fut l’œuvre de nos soldats pendant la Grande Guerre, reste parmi les plus belles routes du pays”.

Cimetière militaire britannique de 1919. Brálos en Grèce Centrale, 2023

C’est bien connu, les campagnes militaires incarnent autant… une certaine forme de “tourisme” mais alors implacable. Rappelons ici ce que Miller n’évoque pas de manière plénière, à savoir, la division de la Grèce, imposée par les Alliés de l’Entente Cordiale entre 1916 et 1918. Après l’échec de la campagne de Gallipoli en janvier 1916, les troupes françaises et britanniques, ainsi que leurs bataillons coloniaux, débarquent à Thessalonique pour faire de la Macédoine grecque, de l’Épire, et de la Thrace, leurs nouveaux fronts, s’opposant aux Allemands et à leurs alliées, les Bulgares.

Le roi Constantin à Athènes, ainsi que la majorité des Grecs issus de la Vielle Grèce au sud, souhaitaient préserver le pays d’un nouveau conflit, sauf que les Puissances de l’Entente poussaient la Grèce à se ranger de leur côté. Mais alors avec… l’aimable collaboration d’abord de Londres et de Paris, l’homme politique Venizélos alors Premier ministre dans un premier temps, démissionna pour ensuite via un Putsch, former un deuxième “État grec” à Thessalonique, dit celui de la “Défense Nationale”, sous le contrôle total des autorités militaires et politiques de l’Entente installées sur place.

C’est ainsi qu’en 1917, le pays grec a été certes réunifié, sauf que sous la pression armée de l’Entente, le roi Constantin fut forcé à l’exil et la souveraineté hellène réduite pratiquement à néant.

Toujours divisé dans ses mentalités entre Vénizélistes et Monarchistes, le pays est pourtant uni sur le papier, bien qu’une bonne part de son territoire de même que de ses infrastructures, restent largement sous le contrôle et sous la gestion des militaires de l’Entente, comme par exemple les chemins de fer du nord du pays dont… les clefs des gares et des points de triages ont été rendues aux Grecs seulement en 1920.

La route de Delphes ayant souffert de la Deuxième Guerre mondiale. Grèce, 1945

Ce qui de l’autre côté n’enlève rien bien entendu, de l’effort et des sacrifice consentis par les soldats engagés sur place, quand en prime, les conditions climatiques et géomorphologiques déjà, ont été plus que difficiles sur le terrain, et pas seulement sur celui des opérations militaires stricto sensu.

Les Britanniques et dans une moindre mesure les Français, ayant par exemple débarqué à Thessalonique plusieurs milliers de véhicules, sauf que sitôt, leurs militaires ont mentionné dans leurs écrits “à chaud” le terrible constat. “Nous avons débarqué dans un pays sans routes”.

D’où entre autres, l’effort remarquable du Génie de l’Armée française dans la construction et concernant l’aménagement des axes routiers reliant l’Adriatique à Thessalonique via l’Albanie, de même que l’effort cette fois-ci britannique, construisant la route entre Itéa et la gare de triage de Brálos en Grèce Centrale, dont un axe secondaire mais alors déjà symbolique construit à cette occasion, fut celui reliant Itéa à Delphes.

La Grèce et ses… routes. Années 1930

Je le rappelle d’ailleurs chaque fois aux heureux participants des parcours de découverte que j’anime dans le cadre de la Grèce Autrement en pays continental, car remontant de Delphes en direction de la Thessalie et des Météores, c’est justement cette même route… britannique que nous empruntons. Et sur notre chemin près de Brálos, nous visitons un cimetière militaire anglais datant de 1919, 102 soldats et officiers y reposent, 95 issus des pays du Commonwealth et 7 issus d’autres nationalités, pratiquement tous emportés par la grippe dite espagnole.

Inutile de rappeler que cet… aménagement urgent du territoire grec et plus largement balkanique, tant du côté français que du côté britannique, était rendu nécessaire par le déroulement des opérations et plus précisément par la présence des sous-marins et des avions allemands en mer Égée. Il fallait donc si possible y éviter toute navigation pour le transport des troupes et du matériel de l’Entente, depuis les ports italiens, voire depuis Marseille, et à destination de Thessalonique.

Les guerres passent et les routes demeurent. La Wehrmacht en Grèce, 1941

Les guerres passent et les routes, si possible elles demeurent. Dans le même ordre des choses vécues et pratiqués sur le terrain et cela jusqu’aux années 1930, pour se rendre par exemple de la ville d’Ioannina, la capitale de la région de l’Épire en Grèce, à Thessalonique, il fallait emprunter une route, d’ailleurs dans un piètre état, laquelle passait… par l’Albanie, étant donné que sa tracée datait de l’Empire Ottoman.

De même que la route, toujours en construction, entre la Thessalie et l’Épire, autrement-dit entre Tríkala et Ioánnina en passant par Kalambáka sous les Météores, était encore à moitié praticable, c’est-à-dire seulement en été, ceci au moment de la Guerre Gréco-italienne de 1940, car les travaux entrepris depuis 1918 étaient alors en cours.

La… route entre la Thessalie et l’Épire. La Wehrmacht en Grèce, 1941

Et pour l’anecdote de l’histoire, il faut rappeler que la route entre Trikala et Kalambáka fut construite seulement dans les années 1930 et que la construction encore inachevée en 1940, des deux axes routiers reliant Kalambáka, respectivement à la Macédoine grecque et à Ioánnina en Épire, avait débuté en 1919.

La main-d’œuvre utilisée, fournie il faut préciser par l’armée grecque… “Ententisée”, fut celle d’abord de 180 prisonniers Russes, pour ensuite faire appel obligé aux bataillons Bulgarophones, de ceux que les cadres de l’Armée grecque considéraient alors et pour cause, comme peu fiables au combat, car les intéressés n’avaient guère de conscience nationale grecque.

La… route entre la Thessalie et l’Épire. Grèce, 1917 à 1919

Avec la dissolution vers la fin de 1920, des bataillons de ce type que l’on appelait parfois “Unités Xénophones”, ces travaux entrepris dans un cadre plutôt de guerre entre 1916 et 1920, n’ont que très péniblement avancé, en tout cas pour ce qui est des régions de l’Épire, de la Macédoine et de la Thessalie, et cela jusqu’à la fin des années 1930.

Puis, il y a eu la Deuxième Guerre mondiale, ses nombreuses troupes, ses véhicule et même son “tourisme”, “préparé” il faut dire par les… clubs des automobilistes aventuriers, le plus souvent fortunés des années 1930, ce qui n’échappe plus aux historiens de notre temps, à l’instar de Valentin Schneider, dont le projet scientifique actuel est intitulé “Base de données des unités militaires et paramilitaires allemandes en Grèce entre 1941-1944/45”.

Deuxième Guerre mondiale, ses véhicule et son “tourisme”. Grèce, 1941-1944

Travail, notons-le également, financé à 100 % par les ministère allemand des Affaires étrangères, par l’Ambassade allemande à Athènes, ainsi que par le “Fond Germano-grec pour l’avenir”, ce dernier avait été d’ailleurs institué durant les années de la crise grecque sous la Troïka.

L’approche de l’historien est fort intéressante, dans la mesure où il ne reste pas prisonnier de la seule évidentialité des faits de guerre, s’intéressant d’abord au vécu quotidien des militaires Allemands en Grèce, à leurs écrits personnels de la période, à leurs relations avec le pays hellène, ainsi qu’à leurs stéréotypes, avant mais aussi après leur installation en Grèce en tant qu’armée occupante.

Deuxième Guerre mondiale, ses véhicule et son “tourisme”. Grèce, 1941-1944

C’est en somme ce même type de travail et d’investigation historique que j’ai réalisé, en étudiant le quotidien des soldats grecs de la période 1918 à 1923, thème qui fut également le sujet de mon travail de thèse à l’Université d’Amiens.

Dans son article intitulé “L’idéal grec – allemand à l’époque du national-socialisme”, Valentin Schneider, revient d’abord sur le passé… automobile de cette nouvelle “aventure” allemande en Grèce.

Durant l’été de l’année olympique de 1936, un petit groupe embarqua au pays, pour le compte du constructeur automobile Opel de Rüsselsheim. Il s’agissait d’un road trip de plusieurs semaines en Grèce, afin d’assister au départ du premier relais de la flamme des Jeux olympiques depuis l’ancienne Olympie, pour ce qui est de son histoire alors moderne”.

Opel Olympia, modèle 1936

Mais en même temps, c’était l’occasion pour montrer le plus efficacement possible aux médias du moment, la fiabilité du nouveau modèle Opel Olympia, la première voiture allemande produite en série dotée d’une carrosserie autonome”.

Les impressions de voyage de ce groupe ont été publiées par Opel Public Relations à Noël 1936, dans un livre richement illustré par 80 photos et cartes, le tout, sur un total de 165 pages, intitulé Griechenland im Auto erlebt – “Apprendre à connaître la Grèce en voiture”. Le voyage, organisé comme une mission de recherche, était accompagnée de journalistes et de photographes expérimentés, lequel avaient entrepris de bien documenter le projet”.

Les photos de ce livre sont celles du photographe Alfred Tritschler, partenaire de la célèbre agence de Francfort Wolff et Tritschler. D’ailleurs, Tritschler travaillera plus tard comme correspondant de guerre au sein de la compagnie de propagande de la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale, servant en Allemagne, en France, en Russie et ailleurs”.

Ford Taunus G93A de la Wehrmacht. Athènes, 1941

Les textes sont issus de la plume du Dr. Carl Wiskott, alors directeur du bureau des relations publiques d’Opel. Notons à ce stade qu’à partir de 1929, 80 % de la société Opel appartenait au groupe américain General Motors, et qu’à partir de 1931 les Américains étaient les seuls propriétaires des usines Opel. Cela n’a cependant pas empêché les nationaux-socialistes d’instrumentaliser l’usine de Rüsselsheim et ses produits, les Américains étant avant tout intéressés par l’efficacité de l’entreprise qu’ils venaient d’acquérir”.

Le livre, lequel reste l’un des premiers récits d’un road trip en Grèce, arrive à une époque où l’automobile était largement saluée en Europe en tant que symbole de modernité. Porteuse déjà de la culture montante des loisirs, elle fut en même temps un moyen d’abolition de certains privilèges sociaux, étant donné que les modèles proposés à la vente, sont de plus en plus nombreux et moins chers”. “Entre 1933 et 1937, les ventes mondiales de véhicules automobiles ont plus que doublé et les centaines de milliers de passionnés de sport automobile ont afflué vers les grandes courses automobiles et motos du Nürburgring ou de l’AVUS de Berlin. Il est donc clair que l’édition “Apprendre à connaître la Grèce en voiture” convenait à la fois au charme général que la Grèce exerçait sur les Allemands, qu’à leur désir de voyager à l’étranger à moindre coût. Surtout pour la classe moyenne montante, posséder une voiture lui permettait de planifier et de mettre en œuvre des vacances. “Le voyageur d’aujourd’hui est l’automobiliste” avait alors écrit Carl Wiskott en 1936”.

Road trip… de la Wehrmacht. En Thessalie sous les Météores, 1943

Surtout, les auteurs ont publié par ce livre, un guide de voyage pratique, aux cartes détaillées et aux informations sur l’état des routes, en y rajoutant des suggestions d’hébergement, des attractions touristiques et de la cuisine locale, informant enfin ses lecteurs sur le pays et sur ses habitants. Un petit dictionnaire comportant des dialogues pratiques à la fin de l’ouvrage, complétait ainsi l’édition”.

Le livre ne traite d’ailleurs pas exclusivement d’une vision négative de la Grèce moderne. Viscott fait sur plusieurs points des comparaisons entre la Grèce et les États-Unis. L’opinion de Viscott peut être considérée comme assez fiable, car il était employé d’une entreprise américaine et connaissait certainement très bien le pays de son employeur. Ainsi, il loue la réussite des Grecs à absorber le flot de réfugiés hellènes après 1922”. 2

Road trip… de la Wehrmacht. Aux Thermopyles, 1941

La Grèce a réalisé cet exploit incroyable en toute discrétion. Partout où l’on voit des fermes soignées et propres en Thessalie et dans les plaines alluviales à l’ouest de Thessalonique – et on en voit plusieurs milliers – ce sont les nouvelles colonies de Grecs expatriés qui ont été expulsés. Sous la pression de cette augmentation soudaine de la population, les banlieues d’Athènes se sont également énormément développées. Athènes à elle seule a accueilli 300.000 réfugiés. Des routes sans fin et des rangées de maisons ont été construites à la vitesse américaine”.

Dans le centre d’Athènes, Viscott constate la congestion du trafic dans les rues, énorme, presque américaine, le bruit dans les rues est assourdissant”.

Il n’y a pas de petites voitures du tout. Notre Olympia et notre petit van d’accompagnement, attirent alors partout l’attention. Personne ne peut imaginer comment quelqu’un pourrait faire un si long voyage de Berlin à Olympie -en grec dans le texte, avec une voiture si petite par rapport aux… normes locales. Ici, un propriétaire de taxi qui se respecte serait réticent à conduire même une Chevrolet ou une Ford.

Signalisation… à l’usage de la Wehrmacht. Macédoine grecque, 1941

Même quand il n’a pas assez d’argent pour une Cadillac, de celles que l’on trouve souvent aux stations de taxis, il se contentera généralement d’une Buick à huit cylindres. Toute la prospérité de ce pays pas si riche d’ailleurs, semble être concentrée dans la capitale. Où sont-ils les descendants des anciens Grecs ?

Mais il s’avère vite que le livre n’est rien d’autre qu’un ouvrage aligné sur l’idéologie nationale-socialiste, situé comme il est, entre l’hégémonie du Reich sur l’Europe, puis l’esprit de conquête et au passage, la glorification de la technologie. De plus, le livre vise consciemment à associer la Grèce antique à la nouvelle Allemagne, d’après la ligne du parti Nazi. Déjà dans le chapitre “Premières impressions des Balkans”, qui traite du passage par la Yougoslavie, on lit alors ceci”.

Premières impressions des Balkans. Grèce, 1941

Les peuples du nord, les Doriens comme les Ioniens, sont descendus jusqu’ici en suivant le soleil, pour créer une civilisation sur le sol grec, un art que nous admirons aujourd’hui. Ainsi, la fascination évidente pour les réalisations de l’Antiquité n’est pas loin de la consternation face aux proportions morphologiques minimes supposées des statues de marbre blanc des anciens Grecs avec la diversité d’apparence de leurs descendants modernes”.

Grâce à un guide de voyage sans importance, sponsorisé par un constructeur automobile allemand et américain, le lecteur sera mis en contact direct avec des éléments clés de l’idéologie raciale nationale-socialiste, les Grecs de l’Antiquité étaient blonds et aux yeux bleus, donc liés aux races germaniques”.

Tourisme… de la Wehrmacht en Grèce. Officiers visitant Mycènes, 1941

En effet, l’obsession idéologique des nationaux-socialistes pour la parenté raciale avec les anciens Grecs peut s’expliquer par la nécessité d’ancrer le mouvement dans l’histoire afin d’acquérir une plus grande légitimité. Cette ligne allait à l’encontre des tentatives d’autres propagandistes de se rapprocher des anciennes traditions germaniques”.

L’idée d’une prétendue parenté entre Allemands et Grecs remonte au philhellénisme allemand du XVIIIe siècle, avant d’être adoptée et développée par les nationaux-socialistes. Dans ce contexte, Hitler, en particulier, s’est d’abord intéressé non seulement à la proximité entre les peuples au sens de l’idéologie raciale, mais aussi à la convergence des valeurs, entre celles de l’Antiquité grecque et celles de l’Allemagne nationale-socialiste”.

Le pasteur… de la Wehrmacht Hans Radtke, visitant l’Acropole. Athènes, sous l’Occupation

Dans le même temps, la Grèce, en tant que pays actuel, jouait un rôle secondaire dans les plans expansionnistes allemands. Tant sur le plan militaire qu’en termes de politique européenne, cela n’intéressait guère Hitler et appartenait clairement au domaine d’intérêt de l’Italie fasciste. Pour Hitler, il n’y avait aucune raison de défier Mussolini sur cette question, d’autant plus que l’Allemagne et la Grèce entretenaient d’excellentes relations économiques au cours de la décennie”.

L’image de Nouveaux Grecs fut cependant considérablement renforcée aux yeux d’Hitler, car après l’attaque italienne du matin du 28 octobre 1940, ils opposèrent une forte résistance et réussirent à repousser les envahisseurs italiens à l’intérieur de l’Albanie. Hitler craignait désormais que l’initiative non coordonnée de Mussolini en Grèce ne fournisse à Churchill l’occasion d’intervenir dans les Balkans, comme les Alliés occidentaux l’avaient déjà fait pendant la Première Guerre mondiale. Les craintes d’Hitler se confirmèrent lorsque les premières troupes britanniques arrivèrent à Thessalonique en novembre 1940 pour soutenir les Grecs contre l’Italie”.3

Quatre ans et demi après la publication du livre “Griechenland im Auto erlebt”, les Allemands sont de nouveau arrivés en Grèce, mais cette fois non seulement avec des voitures, mais aussi avec des chars, des avions de combat et des obusiers. Entre le 6 avril et le 1er juin 1941, les troupes allemandes, avec l’aide d’unités italiennes et bulgares, occupent d’abord la Grèce continentale, dans le cadre de l’opération Marita, puis, après l’achèvement de l’opération aéroportée Mercure ayant coûté de nombreuses vies humaines, aussi la Crète”.

“Panzer am Balkan”… sous l’Acropole. Athènes, mai 1941

Dans le journal “Panzer am Balkan”, les soldats allemands pouvaient lire les lignes suivantes sous le titre “La croix gammée survole l’Acropole” le 29 avril 1941, deux jours après la prise de la ville d’Athènes par les Allemands”.

Voici donc la ville de nos rêves d’école, de nos premiers cours d’histoire, le lieu de l’art et des muses antiques, sous le soleil éclatant du sud. La première croix gammée brille là-bas. La croix gammée sur l’Acropole ! Elle brille au loin sur fond rouge, et à côté le drapeau grec, preuve visible que nous savons respecter l’honneur de la Grèce”.

En fait, après la fin des combats, Hitler a donné l’ordre de libérer tous les prisonniers de guerre grecs et de soutenir l’organisation de leur retour chez eux. Mais ensuite les relations entre Allemands et Grecs se sont détériorées et une période d’occupation a commencé, qui a duré plus de trois ans et reste l’une des périodes les plus sombres de l’histoire récente de la Grèce”.

La famine de l’hiver 1941-42 à Athènes

En particulier, la famine de l’hiver 1941-42, qui a coûté la vie à au moins 300.000 personnes dans toute la Grèce, ainsi que la terreur et les massacres de l’occupation allemande, par exemple de Kontomári, de Kalávryta et de Dístomo, sont désormais inscrits dans la mémoire collective de la Grèce. Ici, les questions suivantes se posent inévitablement.

Comment ces crimes violents ont-ils pu se produire, alors qu’au départ la Grèce et les Grecs étaient glorifiés, et comment les simples soldats de l’armée allemande ont-ils vécu l’invasion et l’occupation de la Grèce ? Leurs impressions sur le pays et sur les habitants ont-elles été influencées par la propagande nationale-socialiste, comme l’était le Guide de voyage de 1936 ?

Vie quotidienne des occupants Allemands. Grèce, 1941-44

Cependant, de nombreuses lettres donnent un excellent aperçu de la vie quotidienne et des représentations des occupants allemands, façonnées de manière décisive par le cadre de référence culturel du national-socialisme – et cela ne se limite en aucun cas aux descriptions des événements de guerre. Même des thèmes récurrents, comme les tâches quotidiennes, le mal du pays, l’alimentation, les conditions de logement, ainsi que le climat inhabituel et, dans certains cas, les maladies qui en résultent, portent souvent des traces d’idées nationales-socialistes”.

Tout d’abord, l’influence de l’idéologie se reflète dans les descriptions de sujets de l’histoire et de l’archéologie grecques. De nombreux soldats, pendant leur séjour en Grèce, étaient effectivement employés comme historiens et archéologues amateurs. Le désir général des Allemands pour la Grèce a peut-être été encore exagéré par l’implication personnelle d’Hitler dans les fouilles menées par l’Institut archéologique allemand d’Athènes à Olympie à partir de 1937, qui ont attiré une grande attention médiatique”.

Les occupants Allemands en… archéologues. Grèce, 1941-44

Pour compléter le récit historique de Valentin Schneider, je dois rappeler ici que la mission archéologique allemande à Athènes, était en même temps durant ces années, un nid d’espions au service de Berlin, y compris et surtout parmi les archéologues ainsi que parmi les hellénistes Allemands. Ce qui d’ailleurs était autant le cas des missions culturelles et archéologiques des autres… grandes Puissances.

Valentin Schneider évoque entre autres, les lettres des soldats allemands en Grèce, quant aux références souvent faites aux anciens Grecs et à leurs bâtiments. Il cite par exemple, les lettres du médecin en chef Dr Rolf Oberndörfer au 79e Régiment d’artillerie de montagne, chez qui en juin 1941, on perçoit immédiatement une certaine critique de la ligne officielle du parti.

Vie… quotidienne des occupants Allemands. Athènes, 1941-44

Et peu importe la beauté de la Grèce lors d’un voyage en Méditerranée, et peu importe la familiarité spirituelle que l’on ressent lors de vacances tranquilles -quoique bien méritées, avec des gens flegmatiques, lents, calmes et modestes, pour quelques semaines ! Le séjour permanent ici est tellement désagréable. Certes, les femmes d’Athènes sont généralement plus moralement cohérentes et décemment habillées que celles de Paris, de Bruxelles et d’Anvers, qui sont beaucoup plus dangereuses pour nos soldats”.

Et qu’est-ce que c’est le repos et la récréation ici, quand on est partout et constamment menacé par la malaria, la dysenterie, le typhus, les chiens enragés, les serpents, les scorpions, les punaises de lit, etc. etc.? Qui ici connaît les merveilleux Classiques que nous aimons tant ? Ils auront certainement été encore moins lus ici en Grèce que les classiques allemands chez nous”.

Les occupants Allemands en… touristes. Athènes, mai 1941

Le constat établi par Valentin Schneider en ce qui concerne l’opinion des soldats allemands sur la population grecque et les relations entre conquérants et vaincus, c’est que le contenu des lettres révèle finalement une image parfois sensiblement différente. Dans l’une de ses premières lettres de Grèce du 10 avril 1941, le soldat Helmut Hildebrand décrit l’entrée de son unité dans le nord du pays.

Le succès a été étonnant quand, en chemin, nous avons vu la mer d’en haut, des guerriers, bien que sans casques d’acier, des conquérants du nord descendant 1000 mètres dans la vallée. Dans les villages, les gens arrivaient vers nous avec du pain, du fromage, des œufs, des cigarettes, tout le monde se serrait la main et souriait encore plus qu’en Bulgarie. Notre armée avait envahi le pays, et probablement la population avait en partie peur et en partie, elle avait d’anciennes sympathies envers l’Allemagne”.

Vie quotidienne des occupants Allemands. Sur l’Acropole, juin 1941

Pareillement, note Valentin Schneider, “le Dr. Albert Krumbacher, lieutenant au sein du commandement général du 18e Corps de montagne, donne dans ses lettres une image variée et indépendante de la population grecque et de ses relations avec les forces d’occupation allemandes. Le 11 mai 1941, alors il écrit”.

Les Grecs semblent – du moins à notre avis – meilleurs que leur réputation. Qu’ils sont de bons soldats, ils l’ont prouvé contre les Italiens, et leur défaite contre nous n’est pas une honte. Ils semblent assez sûrs d’eux, mais sont surtout gentils et serviables. Presque personne ne parle allemand, mais à Athènes presque toutes les vendeuses parlent français.

Les occupants Allemands en… navigateurs. Au Mont-Athos, été 1943

Malheureusement, nous n’avons pas l’occasion d’entrer en contact avec eux et ainsi mieux connaître le pays et ses habitants. J’ai l’impression que ce sera difficile de les battre. Des personnalités notoires dépendaient de l’Angleterre en raison de l’important commerce maritime qui constituait la principale source de revenus de ce pays par ailleurs pauvre”.

Dix jours plus tard, l’auteur de la lettre ajoute. Je n’ai jamais entendu parler de Grecs accueillant les troupes allemandes avec des oranges et des citrons. Si cela s’est produit, il s’agit certainement d’un cas isolé qui ne reflète pas l’ambiance globale. En général, il ne peut être question de sympathie de la population grecque à notre égard. D’ailleurs, on ne peut guère exiger cela”.

Discussion… entre Allemands et Grecs. Sur l’île d’Andros, mars 1944

Les sources directes grecques, s’agissant essentiellement de nombreux carnets personnels publiés après-guerre, de même que le constat des historiens de la période à l’instar de Valentin Schneider, aboutissement alors tous à la même conclusion. C’est qu’au moins, au début de l’occupation allemande de la Grèce, les discussions entre Allemands et Grecs n’étaient certainement pas un phénomène rare, même dans les lieux publics.

Les langues de communication étaient l’anglais, le français et parfois l’allemand. Certains communiquaient littéralement avec des signes, d’autres utilisaient leur connaissance des langues anciennes et essayaient un mélange de grec ancien, de latin, d’anglais, et de français”.

Le 4 juillet 1941, le Dr Karl Krüger, membre d’une unité de radio à Skaramangá, a rapporté sa tournée à Athènes en ces termes. L’autre jour, j’ai eu une conversation intéressante avec un étudiant grec en ville. Tout d’abord, lui et ses semblables croient toujours fermement à la puissance de l’Angleterre, car nulle part… les Allemands n’ont jamais rencontré d’Anglais, etc. Je n’aurais jamais pensé que le récit de retraites heureuses et victorieuses deviendrait aussi crédible”.

Les occupants Allemands en… touristes. Athènes, 1941-44

Il est à noter que de nombreux Grecs, notamment les commerçants et les vendeurs, semblent s’adapter très rapidement à la présence allemande. Helmut Hilderbrand déclare dans une lettre datée du 6 mai 1941, après une courte visite à Thessalonique, ce qui suit”.

Il y a beaucoup de mouvement partout, et pendant les 4 semaines de la période allemande il y a une adaptation infinie pour nous. Tous les 5 pas, vous trouvez un garçon qui nous vend des dictionnaires bon marché, et d’autres, destinés aux Grecs. Ils ont aussi des guides ou des bagues ridicules qui marquées de la phrase – Souvenir de Thessalonique 1941, des tricots, etc. Il y a encore plusieurs choses à acheter qui ne sont pas disponibles dans notre pays, notamment des vêtements, mais faute de place, nous ne pouvons rien emporter avec nous, sauf de bien petites choses”.

Le Dr Karl Krüger est d’une observation similaire près d’Athènes début juillet 1941. Ces derniers jours, nous avons découvert une nouvelle façon pour se bâfrer : à dix minutes de chez nous se trouve un petit village de pêcheurs. Là, dans l’une des deux tavernes sales, on trouve le poisson couleur d’argent dont j’ai parlé”.

Le tourisme en Grèce. Stéréotypes… durables, 2023

Maintenant, le tavernier est prêt et a préparé du poisson grillé. Il est très savoureux. C’est dommage que je ne puisse pas manger – du moins pour le moment ! Certains bateaux de pêche arborent désormais le pavillon allemand à côté du pavillon grec. Au Pirée, l’autre jour, nous avons vu un groupe de navires battant notre pavillon. Mais nulle part on ne voit de bateau battant pavillon italien”.

En règle générale, les lettres des soldats ordinaires ne font preuve d’aucune analyse plus approfondie, comme c’est le cas, par exemple, dans les rangs des officiers. Le 18 mai 1941, le lieutenant Joseph Braun du 74e Régiment d’artillerie décrit ses impressions sur la Grèce sur un ton direct et ne donne aucune raison pour supposer qu’il a été influencé par un idéal grec positif”.

Il y a de nombreux vendeurs ambulants ici avec des fruits, des bonbons, des boissons ainsi que des cireurs de chaussures. Ils crient constamment pour faire connaître leur marchandise. Mais là, on se fait généralement avoir. A Éleusis, un garçon apportant des œufs est arrivé en dernier. Il voulait 10 drachmes, 20 pfennigs par pièce. Alors vous imaginez que nous l’avons chassé. De telles personnes, nous prenons souvent leurs affaires et ne payons absolument rien. La foule est très voleuse. Avant-hier, un policier grec a abattu une femme dans la rue pour mettre fin au vol de charbon. Je vous le dis, c’est ainsi que ça se passe ici”.

Discussion… entre Allemands et Grecs. Pendaison à Athènes, 1943

Je dois rappeler ici que le châtiment corporel… gratuit, l’humiliation, voire l’exécution sauvage en pleine rue pour des motifs déjà futiles, ont progressivement constitué la règle dans le comportement des troupes d’Occupation allemandes en Grèce, ce que les lettres des intéressés ne voulait, comme elles ne pouvaient peut-être guère évoquer.

Ainsi et à titre d’exemple, dans mon article consacré à la vie et l’œuvre du compositeur grec Attik, je précisais alors ceci quant à sa mort durant l’Occupation. Sa fin fut tragique. Plongé dans ses pensées tout en cheminant à vélo, car il compulsait sans cesse le rythme et les paroles des futures chansons dans sa tête, il heurta involontairement deux soldats allemands.

L’actrice allemande Heli Finkenzeller, visitant l’Acropole. Athènes, 1942

Ces derniers, irrités et animés par la brutalité qui caractérisait la plupart des Allemands de l’époque sous la Wehrmacht, l’ont frappé jusqu’à ce que son visage soit défiguré. Attik, alors âgé de 60 ans, le visage ensanglanté, brutalement battu et insulté, est rentré très péniblement chez lui.

Il est arrivé tout meurtri et en sang et quand il entre dans sa chambre, il demande une camomille. Son ultime verre de sensibilité et de fierté alors déborde. Dans les restes de cette camomille, on retrouvera par la suite l’overdose du véronal, car Attik saisissant une fiole de ce barbiturique qu’il utilisait à petites doses pour dormir, il en a versé la totalité ! Il voulait visiblement se calmer du tumulte dans lequel il s’était plongé”.

Agents britanniques. Grèce sous l’Occupation allemande, 1943

Et dans le cas de la grande famine de l’hiver 1941-1942, certains militaires Allemands tentent de comprendre les causes de la pénurie alimentaire, tandis que d’autres se sentent simplement désolés pour les gens qui mouraient de faim et mendiaient, d’après toujours le constat de Valentin Schneider. Le 23 mars 1942, le sous-lieutenant Peter Gliemann du 721e régiment d’infanterie écrit à son épouse.

Avez-vous déjà entendu parler de la pénurie alimentaire en Grèce ? À Athènes, deux cents personnes meurent chaque jour de faim. C’est un fait ! Ils s’évanouissent dans la rue ! La Catastrophe !! La majeure partie du pays n’est que steppe. Mais comment les gens peuvent-ils se nourrir ainsi !?

Après presque un an d’occupation allemande dans les Balkans, le soldat Wendelin Peking du 12e Régiment de renseignement aérien avait une image complètement renouvelée des Grecs, de ce qu’il pouvait observer de près. Il était surtout troublé par le spectacle de la misère dans les rues, mais sans voir que les politiques allemandes d’occupation et d’exploitation font même partie des causes de la famine. Le 9 janvier 1942, il écrit chez lui les lignes suivantes”.

Troupes britanniques. Grèce à la libération, novembre 1944

Le peuple grec, autrefois un peuple de culture, admiré du monde entier, est aujourd’hui une nation de salins et d’escrocs. La vie dans la rue, sauf dans les petits centres-villes, est indescriptible. Des maisons pauvres, presque plus horribles que celles de Russie, pourrait-on facilement dire. Il y a tant de gens dans la rue dont on voit et on comprend que leurs heures sont comptées”.

Si vous marchez 200 mètres dans la rue, vous trouverez sûrement une personne qui vit ses derniers jours. Il n’y a pas de pitié. Parce que c’est comme ça qu’ils le voulaient, si vous les considérez bien comme un peuple. Ils vous volent, même ce que vous portez sur vous, en plein jour. Les mendiants et les contrebandiers ne vous laissent pas tranquilles, ils vous torturent presque, ce n’est que par la force qu’on peut éloigner ces gens qui puent l’ail”.

Soldats britanniques. Sur l’Acropole, décembre 1944

Et à la libération en octobre 1944, d’autres touristes qui… ne sentent pas l’ail, et qui sont de nouveau Anglo-saxons ainsi que leurs troupes coloniales, ont investi le pays afin de combattre aux côtés des royalistes, contre les communistes durant la première phase de l’inutile et si néfaste Guerre Civile grecque des années 1944 à 1949.

Sauf que par la suite, dans les années 1950, on refera coûte que coûte les routes, on construira des aéroports et on visitera alors de nouveau Delphes depuis Athènes, cette fois-ci en passant comme actuellement, par le nouveau chemin du sud via Aráhova et non plus par le nord obligatoirement via Brálos, comme depuis la construction de cette… première route Delphique par les soldats britanniques et en somme, par le travail quelque part forcé des habitants, entre 1916 et 1917.

Parachutistes britanniques. Sur l’Acropole combattant les communistes Grecs, décembre 1944

Entre-temps et plus précisément à la libération de 1944, le poète et diplomate Yórgos Séféris aura retrouvé sa patrie, après son exil, lié à la guerre. Il décrit alors le retour par la mer, en ce voyage tant attendu, dans son carnet personnel.

Dimanche 22 octobre 1944

Quand on entre en Grèce, on a le sentiment, non pas d’avancer, mais de gravir des marches, de passer un seuil. C’est un autre monde, qui se situe à un autre niveau. Ce matin, la pointe orientale d’Hydra, Poros, et puis la montagne d’Égine, épine dressée derrière le promontoire, et ensuite, dans les jumelles, l’Acropole”.

Parachutiste britannique. Athènes, combattant les communistes Grecs, décembre 1944

J’ai été, je crois, le premier à l’apercevoir. Tout le monde à bord, les étrangers comme les Grecs, soldats et gradés, tout l’équipage du bateau, de la proue à la poupe, s’était figé dans un silence absolu, comme lorsque le chef d’orchestre frappe le pupitre de sa baguette dans une salle de concert”.

Aujourd’hui, cela fait exactement trois années et demie que j’ai quitté Le Pirée, le 22 avril 1941”.

C’est la plus belle journée du monde, la plus légère”.4

Le voyage en Grèce. Stéréotypes… durables, 2023

* Photo de couverture: Les occupants Allemands en… touristes. Sous le Parthénon, Athènes, mai 1941



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Notes

  1. William Miller, 1864 – 1945, était un journaliste et historien britannique, spécialisé dans l’étude du Moyen-Âge, et en particulier de la période de domination franque de la Grèce. Après avoir terminé ses études universitaires, il se consacra au journalisme et à l’étude de l’histoire.
    En 1903, il fut nommé correspondant de “Morning Post” à Rome, poste qu’il conserva pendant vingt ans. En 1923, il s’établit à Athènes, gardant le même poste. Les voyages que tout jeune, il fit dans le Proche-Orient, d’où il rapporta un livre sur les Balkans, semble avoir décidé du sort de ses études historiques. Sa collaboration aux revues anglaises, ses recherches dans les archives de Venise et d’autres villes italiennes, son goût prononcé pour les études historiques l’orientèrent vers l’étude de la Grèce médiévale. Il était docteur honoris causa de l’Université d’Athènes et membre de plusieurs sociétés savantes.
    Miller s’intéresse donc particulièrement à la période franque de l’histoire grecque, incluant les États latins d’Orient établis sur le sol grec après la Quatrième croisade. Son ouvrage “The Latins in the Levant” de 1908 en particulier, est resté pendant des décennies le récit de référence en langue anglaise sur la période, il demeure toujours la référence principale des étudiants de premier cycle cherchant des informations sur la Grèce médiévale. Son influence s’est aussi faite sentir en Grèce, où dès 1909-1910 l’universitaire Spyrídon Lámbros publie une traduction étendue de son ouvrage.
    William Miller a dû quitter Athènes en avril 1941 avec l’Occupation Allemande et Italienne du pays, pour s’établir en Afrique du Sud. Avec son épouse Ada Mary, ils s’installent à l’Hôtel “Ocean View” à Durban, jusqu’à la fin de leur vie. Miller y décède en 1945, et Mary, y meurt cinq ans plus tard. Leur riche bibliothèque d’Athènes, qu’ils n’avaient pu transporter, aurait été volée ou détruite par les Allemands. 
  2. La Guerre gréco-turque en Asie mineure de 1919 à 1922, est soldée par la défaite grecque, ainsi, près d’un million et demie de ce qui subsistait des populations grecques sur place, ont été chassées du territoire de la nouvelle Turquie, quand bon nombre d’autres y ont été massacrées. Par l’accord entre les deux pays sur l’échange des populations sous l’égide de la Société des Nations, la Grèce a de son côté expulsé vers la Turquie, un demi-million de musulmans. 
  3. Il faudrait peut-être nuancer ici… les craintes d’Hitler et d’abord le sens de l’intervention britannique, laquelle n’a jamais été de portée décisive sur le terrain des opérations suite à l’invasion de la Grèce par la Wehrmacht. On sait qu’entre décembre 1940 et janvier 1941, sous l’impulsion du général Metaxás alors Premier ministre et chef d’un régime autoritaire néanmoins surveillé par le Roi Georges II et en réalité par Londres, Berlin fut sondé afin de calmer son allié l’Italie, puis arrêter la guerre gréco-italienne et ainsi épargner la Grèce des terribles et autant prévisibles suites de Seconde Guerre mondiale, dans l’espoir de garder le pays dans une certaine neutralité.
    En même temps Metaxás avait signifié aux Britanniques que toute intervention plutôt symbolique de leur part, c’est-à-dire sans les moyens militaires adéquats pour ainsi défaire l’intrusion des forces allemandes, ne pouvait en aucun cas être acceptée, car elle risquait de provoquer justement cette intervention de Berlin, celle que Metaxás voulait à tout prix éviter.
    Cependant, l’étrange maladie… soudaine de Metaxás l’a emporté le 29 janvier 1941 à Athènes. Par la suite, les obstacles et les réticences quant à l’intervention… à bas voltage des Britanniques ont été vite écartés, et la suite fut celle du… scenario finalement adopté par la terrible histoire de la Grèce ayant connu entre 1940 et 1949 la guerre, l’Occupation, et après la libération la Guerre civile entre communistes et monarchistes. Ce qui causa la perte de près de 10% de sa population ainsi que la destruction à 80% des infrastructures, héritées justement des efforts de modernisation consentis durant l’entre-deux-guerres. 
  4. “Journées 1925-1944”, Georges Séféris, texte traduit par Gilles Ortlieb, Bruit du temps, Paris, 2021