Arcadie


Le Péloponnèse, certes tant visité, tient sinon encore de la légende qui est bien la sienne. La Grèce Autrement privilégie d’ailleurs en quelque sorte ses… terres intérieures, ses montagnes et ses rivières, d’abord et notamment en pleine saison. C’est ainsi que nous avons revisité Stemnítsa et ses environs, au cœur donc de la Gortynie et du district régional d’Arcadie, une microrégion qui tient son nom de la cité antique de Gortyne.

Stemnítsa en Arcadie. Péloponnèse, juin 2024

Pour commencer et selon la mythologie, l’ancienne Ýpsos a été construite par Ypsoúndas, l’un des cinquante fils du roi d’Arcadie Lycaon. Et l’on suppose que l’emplacement de la ville antique se situait justement dans la zone de l’actuelle Stemnítsa, où d’après Pausanias au IIe siècle après JC, les lieux sont décrits comme étant une zone de montagnes… aux bêtes sauvages.

Suite aux transferts des populations sous l’Empire Byzantin, il y a eu une certaine installation, et en tout cas passage relativement durable des Slaves à Stemnítsa tout comme dans le Péloponnèse en général, entre le VIIe et le Xe siècle après JC, ce qui d’ailleurs reste toujours une question encore ouverte pour la recherche historique. Il est toutefois vérifié que le toponyme Stemnítsa est d’origine slave, ce qui plus précisément signifie “un endroit boisé et ombragé”, ainsi que d’autres toponymes dans cette région de l’Arcadie montagneuse.

Stemnítsa, village d’histoire. Péloponnèse, juin 2024

Puis, pendant la période de la domination franque entre 1204 et 1430, que les Grecs nomment volontiers la Francocratie, aussi connu sous le nom de Latinocratie, la région de Stemnítsa appartient à l’un des vingt-deux fiefs du sud de la Gortynie concédés au noble français Hugo de Brières.

Ce qui nous ramène à la principauté d’Achaïe ou de Morée, une seigneurie sous Guillaume de Champlitte et Geoffroy de Villehardouin, du temps de la quatrième croisade, de 1202 à 1204. Une affaire géopolitique… bien désastreuse il faut dire pour les Grecs de Byzance, quand le nouvel État féodal en Orient, rompait ainsi avec les traditions hellènes.

Loúsios, le cours d’eau. Péloponnèse, juin 2024

Puis, vint la brève reprise en main de la région par les Grecs d’alors, quand les armées impériales byzantines menées par Théodore II Paléologue et Jean VIII ont investi l’Achaïe en 1417, ne laissant aux Latins que quelques rarissimes places fortes. Sauf qu’en 1460, le sultan Mehmed II s’empare du Péloponnèse et la longue domination Ottomane, entrecoupée d’épisodes… Vénitiens ici ou là, durera jusqu’aux années de la Révolution des Grecs en 1821.

Aux registres donc des Ottomans, Stemnítsa apparaît figurant sur une carte et au sein des sources écrites correspondantes au XVIe siècle, période à laquelle appartiennent également ses monuments les plus vieux de la période moderne, disons datés de manière précise. Sa population selon ce premier inventaire fiscal en 1520, est de 191 personnes, 160 Chrétiens, trois veuves chrétiennes et 27 hommes Chrétiens de sexe masculin, célibataires et de ce fait contribuables d’après leur condition, et enfin une seule famille musulmane.

Gortyne en Arcadie. Péloponnèse, juin 2024

Puis, Stemnítsa devienne alors célèbre dans la lutte pour l’indépendance, autrement-dit, la période de 1821 à 1829 de la Guerre d’Indépendance grecque ou Révolution Grecque, conflit à l’issue duquel les Grecs, finalement soutenus par les grandes puissances, Russie, France et Royaume-Uni, réussirent à faire reconnaître leur indépendance par l’Empire ottoman.

Ainsi, Stemnítsa dont les traces de 1821 sont plus que visibles et autant revendiqués, est une bourgade de cette Grèce des montagnes qui s’épanouit économiquement et culturellement, déjà à partir du XVIIe siècle.

Vue depuis Stemnítsa. Péloponnèse, juin 2024

Par exemple et à ce titre, l’École grecque fonctionna à partir de 1690 sous la tutelle du Patriarcat, puis en 1821 Stemnítsa revendiquera alors le titre de première capitale de la Grèce révolutionnaire et le siège de son premier Parlement, ce qui n’est pas rien.

Car, c’est dès lors, le refuge préféré de Theódoros Kolokotrónis, qui fut le général et homme d’État grec le mieux connu parmi les héros de la Guerre d’Indépendance grecque, d’ailleurs surnommé le “Vieux de Morée” car il avait cinquante ans au début de la Révolution.

Près de Gortyne. Péloponnèse, juin 2024

Les Stemnitsiótes participent donc aux faits de guerre, entre autres, sous la direction de Theódoros Kolokotrónis et c’est ainsi qu’en 1821-1822, le village devint alors le siège du Sénat du Péloponnèse et fut en général, un centre d’approvisionnement pour la lutte des Grecs et un refuge pour les combattants – en premier lieu le clan des Kolokotrónis – dans les temps difficiles.

Non loin, les gorges de Loúsios ou Loússios, modeste affluent d’Alphée ou Alpheiós, le cours d’eau le plus long du Péloponnèse… passant alors même du côté d’Olympie. Loúsios est certes un torrent de 5 km de long, mais qui abrite les gorges parmi les plus spectaculaires de Grèce avec leurs ermitages, monastères et grottes, ayant même constitué le refuge permanent des habitants des villages de la région sous la période ottomane.

Au monastère de Pródromos. Péloponnèse, juin 2024

Par exemple, quand en 1779, les Turcs attaquèrent Stemnítsa, les Stemnitsiótes ont fui jusqu’au monastère de Pródromos et leur sauvetage “avec l’aide de la Vierge Marie” est depuis resté légendaire. Une porte percée par les balles ennemies est encore conservée à l’entrée du monastère, témoignage touchant des temps difficiles vécus par les Grecs conquis.

Les habitants de Stemnítsa ont pris part à toutes les batailles qui ont suivi, tandis qu’à partir de 1821, Stemnítsa fonctionnait comme un centre d’approvisionnement en nourriture et en munitions sous la direction d’une logistique créée à cet effet. Ici aussi, dans le célèbre centre de métallurgie, on réparait des armes et des canons, raccommodés par les artisans Stemnitsiótes… tout en coupant leur partie avant.

Taverne… 1821. Stemnítsa, juin 2024

Le monument aux morts y est alors impressionnant, dominant les lieux, érigé d’ailleurs sur l’emplacement d’une tour de guet datant de la période de la Morée sous les Francs. Cependant lorsqu’on observe bien les lieux, on s’aperçoit facilement que de nombreuses maisons sont fermées, abandonnées et parfois même en ruines, ce qui veut dire que les lointains enfants des insurgés Grecs de 1821… finissent par ne plus naître.

Sur ces lieux même, une chatte presque sur le point d’accoucher, a voulu que l’on accompagne jusqu’à sa demeure, étant donné que les propriétaires ne viennent qu’en été ou à la limite pour Noël.

La chatte sur le point d’accoucher. Stemnítsa, juin 2024

Puis, avec les années… récurrentes de la crise grecque, une certaine hôtellerie est en faillite, elle fut pourtant si bien notée par les guides imprimés en langue grecque et au sujet du voyage alternatif au pays de la grande classe moyenne d’alors, c’est-à-dire entre 1995 et 2005.

Il faut préciser qu’en 2010, par la grande réforme Kallikrátis, Stemnítsa a rejoint la municipalité plus large de Gortynie dont le siège est à Dimitsána. Notons ici, que la réforme Kallikrátis, du nom de l’architecte de l’Acropole d’Athènes, adoptée sous la pression de la Troïka, essentiellement de l’Union européenne et du Fonds monétaire international en raison de la crise économique, fait passer le nombre d’échelons administratifs de cinq à trois. Des milliers d’unités administratives sont ainsi supprimées ou fusionnées.

Hôtellerie en faillite. Stemnítsa, juin 2024

Ainsi, le nombre de communes passe de 1.034 à moins de 370, et notamment les départements sont supprimés, et les préfectures correspondantes deviennent seulement des districts locaux dépendants des Régions.

Cependant, si ce n’est que pour… sauver les symboles, la Gortynie fait référence à l’ancienne Gortyne, une cité ayant atteint son apogée au 4ème siècle avant JC, en partie grâce à son emplacement stratégique sur l’ancienne route menant de Mégalopolis à Olympie.

Monument aux morts. Stemnítsa, juin 2024

Sur ce site tout de même émouvant car déjà peu fouillé en réalité, l’Asclépiion fut constitué d’un temple dédié à Asclépios ou Esculape qui est le nom en français du dieu grec, est dans l’épopée homérique un héros thessalien puis, à l’époque classique, le dieu gréco-romain de la médecine.

Comme par exemple à Épidaure, on y a découvert des thermes et à proximité… une bien belle petite église héritée de Byzance. D’ailleurs, certains archéologues considèrent qu’il s’agit peut-être d’une imitation du temple correspondant de l’Asclépiion d’Épidaure. Les thermes constituent l’un des complexes de bains antiques les plus importants jamais découverts. Ils opéraient, dès le IIIe siècle avant JC, avec le système innovant pour l’époque, de chauffage et de transport d’air chaud par des tuyaux en terre cuite.

Au monastère de Pródromos. Péloponnèse, juin 2024

Puis, près des gorges de Loúsios, on y découvre ce que les Grecs nomment “le mont Athos du Péloponnèse”, ainsi qu’on l’appelle pour l’abondance et l’importance de ses monastères historiques, et qui fascinent immédiatement le visiteur par son paysage sauvage et majestueux.

Car, entre Stemnítsa et Zátouna, les montagnes sont divisées en deux par la rivière Loúsios, nom que les anciens ont donné à cette petite rivière, parce que paraît-il… Jupiter s’y baignait. Pausanias, dit le Périégète, ce grand voyageur de l’Antiquité auteur de “Description de la Grèce” ou “Périégèse” et qui meurt à Rome aux alentours de l’an 180, écrit que Loúsios… c’est la rivière la plus froide de Grèce, ce qui visiblement est toujours d’actualité.

Accueil… au monastère de Pródromos. Péloponnèse, juin 2024

En regardant les pentes rocheuses calcaires abruptes du ravin, on peut voir une multitude de fosses et de grottes naturelles. Il n’est donc pas étonnant que de nombreux ermitages se soient formés ici, dès le plus jeune âge, qui ont constitué le noyau initial des monastères construits le long de la petite vallée.

Ces monastères se sont développés pendant l’occupation turque en de précieux centres spirituels et religieux, mais aussi en refuges pour les habitants des villages environnants. Le mur défensif sur les façades des monastères témoigne de la nécessité d’une plus grande protection contre les attaques ennemies.

Stemnítsa, village d’histoire. Péloponnèse, juin 2024

Ermitages, monastères et alors cachettes, laissent le visiteur d’aujourd’hui sans voix, se demandant comment ils ont été sculptés à une telle hauteur. Aujourd’hui, certains de ces endroits ne sont accessibles que par des grimpeurs spécialement formés.

Et nous avons visité le monastère de Pródromos… où nous sommes d’abord accueillis par ses animaux, mules et alors chats. Pour l’essentiel, les cellules ont été construites à même la roche, et leurs balcons donnent directement sur le vide, avec naturellement une vue incroyable sur la vallée de Loúsios.

Stemnítsa… ruines. Péloponnèse, juin 2024

Vous vous sentirez ici proche de Dieu”, nous disent alors les moines, et c’est bien vrai dans un sens.

Avant de partir de Stemnítsa, un vieux maître d’école, retraité depuis déjà un moment, a voulu nous montrer un monument, dédié au Roi Constantin Ier de Grèce ou, parfois mentionné en Constantin XII, comme c’est alors précisé à Stemnítsa. Grand personnage de l’histoire, né le 2 août 1868, à Athènes et mort le 11 janvier 1923, à Palerme, en Italie, il est le troisième souverain de la Grèce moderne et règne de 1913 à 1917, puis de 1920 à 1922, avec le titre de roi des Hellènes.

Constantin XII. Stemnítsa, juin 2024

Constantin donc XII, en référence à ses prédécesseurs byzantins car durant son règne, Constantin entretient à plusieurs reprises la confusion. Monument alors très rare… restant encore début en ce Péloponnèse visiblement autant mythique que jadis royaliste.

Promenade sinon érudite au cœur de la Vieille Grèce. Nous avons ainsi quitté cette belle Arcadie, pays qui fut rural et pastoral aux poésies bucoliques mais que l’on disait “sans poids majeur dans les relations entre cités grecques” des temps anciens.

Nous avons seulement salué Stemnítsa avec tout le respect dû à ses vieux sages, ses héros de la patrie, ses moines, ses monuments et même ses chats.

Nous avons salué Stemnítsa. Péloponnèse, juin 2024

* Photo de couverture: Au monastère de Pródromos. Arcadie, Péloponnèse, juin 2024



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