Mon nouveau livre
En cette coïncidence de fin d’année 2024, je viens de publier en grec et aux éditions Stamoúlis à Thessalonique, mon essai d’histoire contemporaine : “La vie quotidienne des soldats grecs durant la Première Guerre mondiale et la Guerre gréco-turque en Asie Mineure (1917-1922)”, un ouvrage de la série “Textes et Études” sous l’égide de l’Association Philologique Historique Folklorique FILOS de Tríkala – Φιλολογικός Ιστορικός Λογοτεχνικός Σύνδεσμος (Φ.Ι.ΛΟ.Σ.) Τρικάλων.
La vie quotidienne des soldats grecs…, 2024
En attendant qu’un éditeur puisse prendre en charge mon essai dans sa version en langue française, car elle est également achevée, à part mes remerciements aux nombreux confrères Français et Grecs, lesquels m’ont tant encouragé dans cette tâche, ainsi qu’à l’Association Philologique, Historique et Littéraire FILOS de Tríkala et particulièrement à son Président Theódoros Nimás, je tiens autant à remercier ceux de ma famille qui m’ont entouré et ainsi accompagné à leur manière lors de la rédaction de cette recherche.
Ceux de ma famille qui m’ont entouré. Trikala, 1994
Et notamment, cet essai est dédié aux anciens combattants de la période que j’ai eu la chance de rencontrer et même d’interviewer entre 1993 et 1995 en Thessalie, ma terre d’origine, dont à Tríkala et dans sa région, Agathoclès Papageorgópoulos et Charálambos Papavassilíou de Kefalóvrysso, Kóstas Iakovákis à Ellinókastro, Christos Balamótis, puis Efthímios Tzéllas à Palamas du district de Karditsa, ainsi que Geórgios Parsélias sur l’île de Samothrace.
La parution de notre essai est notons-le saluée par la presse de Thessalie et par des organismes culturels à Athènes, et bien entendu, le livre est disponible en librairie, pour un public pour l’instant seulement hellénophone.
La vie quotidienne des soldats grecs, à travers la presse de Tríkala. Décembre 2024
Je précise que ce travail, s’inscrit dans un des axes relativement récents de l’historiographie quant à l’étude de la vie quotidienne des soldats et des militaires de carrière en période de guerre, conduisant à historiser la vie sur le front et à proposer une exégèse des faits et gestes qui lui sont liés, exégèse alors si besoin anthropologique. Ceci, en considérant entre autres, et mise à part les modalités de mise à mort dans un contexte souvent de “guerre totale”, les représentations des combattants, leurs usages et leurs pratiques, ainsi que leur sociabilité, ô combien abondante il faut dire.
Car déjà, cette guerre en Asie mineure (1919-1922) ainsi que “l’épisode grec” de la Grande Guerre (1916-1918), sont vécus et “pratiqués” par le fantassin grec, suivant des usages qui se réfèrent à la dynamique et à la culture de guerre des longues années guerrières 1897-1923 dans les Balkans, pour ne pas dire à celle d’un XIXe siècle grec et méditerranéen lato sensu. Le tout, par un contexte qui-plus-est, de mobilisation massive des troupes en Europe durant la Première Guerre Mondiale.
Quand les premiers soldats Hellènes débarquent à Smyrne en mai 1919 par un mandat émanant des principales Puissances victorieuses de la Grande Guerre, mandat au demeurant quelque peu “hésitant”, en Grèce, on croit avoir enfin réalisé le rêve national qui consiste à réunir les populations des nationaux des deux rives de l’Égée, sous un seul état grec.
Ceci cependant, sous les effets de la grande coupure politique et même sociale, entre les Grecs Vénizélistes, favorables à l’Entente Cordiale sous l’homme politique contrôlé par la France et la Grande Bretagne que fut Venizélos, et en face, les partisans de la neutralité du pays, plutôt royalistes, ainsi fidèles au trône et au roi Constantin.
Au même moment, la socialisation des jeunes générations en Europe de l’époque, fut essentiellement celle accomplie par l’idée nationale et par la culture de guerre, en préparation visiblement des conflits en gestation. De ce fait, notre première investigation consiste à valider ou pas, la notion de “culture de guerre” pour ce qui est du cas grec.
Agathoclès Papageorgópoulos, ancien combattant 1917-1922. Kefalóvrysso, 1994
Ce qui importe ici, c’est de mieux pénétrer la société grecque en temps de guerre, d’abord par le biais de sa composante la plus exposée, celle des soldats au front, pour qui d’ailleurs, le chemin vers l’âge adulte passe alors par la guerre, ses tranchés et ses atrocités. Le soldat lui-même, ses représentations et ses pratiques, sont en conséquence au centre de ce travail car enfin, la bataille représente bien plus qu’elle-même. Elle est en réalité un prisme qui réfracte bien des choses, autrement invisibles.
C’est ainsi qu’elle est au sens plein du terme “apocalypse”, autrement dit, dévoilement, révélation. C’est à travers elle que des sociétés s’offrent à notre regard, pour peu qu’on veuille bien y regarder de près à travers une multitude de sources, textes et images du front parmi bien d’autres, à la manière dont un anthropologue se penche sur ses notes de terrain et sur les mythes qu’il a possiblement collectés.
Dans ce paroxysme guerrier en effet, tout s’offre à notre regard comme une sorte d’ethnographie de la “communauté des soldats” dans sa vie et survie au quotidien : les corps plongés dans la tourmente, les “groupes primaires” des combattants soumis à une souffrance extrême, les représentations, les imaginaires, les peurs, les ferveurs, les croyances et la religiosité, les haines, puis les techniques et les rites de mise à mort, voire même la sexualité qui bien, qu’occultée souvent, ne disparaît pas dans la brutalité et la déshumanisation des champs de batailles “totales” du XXe siècle.
Enfin et surtout, nous nous penchons ici sur toute une multitude de pratiques culturelles et même sportives “près du front”, à commencer par le football. En ce sens, l’histoire de la bataille est aussi une anthropologie du corps.
Fort heureusement pour l’analyste, les combattants ne sont pas les seuls qu’on puisse apercevoir dans la bataille : à l’arrière-plan de celle-ci, on repère des sociétés entières, on y rencontre l’arrière, le pouvoir politique lato sensu, les idéologies, les appartenances nationales, religieuses, ethniques, et\ou locales, autrement dit, toutes ces composantes d’identité et d’altérité qui amènent le soldat à livrer combat, à tenir surtout, nous rappelant combien et comment la guerre est avant tout un acte culturel fort.
Kóstas Iakovákis, ancien combattant 1917-1922. Ellinókastro, 1994
Car, ces pratiques d’échange significatives et polysémiques, en plus d’être révélatrices des relations entre le genre et le patriotisme, c’est-à-dire, caractéristiques de l’interconnexion voulue du lien national avec la nature notamment féminine, elles authentifient également le processus d’intégration/nationalisation de certaines fonctions et symboles, particulièrement ceux liés au code de valeurs, dont ceux de la parenté.
Nous examinons donc ici si cette “relation fraternelle” inventée entre les “sœurs” et les jeunes enrôlés, en tant que cas anthropologique évident de “parenté rituelle militaire”, faisant partie de ces constructions allégoriques, mises en place sous l’urgence des événements.
Cette irruption sur le champ de bataille de la consanguinité/affinité qui véhicule un excellent support métaphorique pour qualifier les rapports avec l’extérieur, et notamment avec les ennemis, peut-être d’ailleurs interprétée comme une tentative pour ramener, ne serait-ce que symboliquement, la violence absolue du champ de bataille à des seuils plus acceptables, mieux contrôlables. Le tout, en fonctionnant également comme un pont de communication et d’échange, entre la jeunesse des combattants et celle de l’arrière.
Enfin, les pratiques de violence au combat sont évoquées bien que succinctement, combinées aux stéréotypes masculins de l’époque. Quelques exemples caractéristiques d’unités d’élite côté grec sont à ce titre considérés, tels que les Evzones, qui constituaient également des types idéaux du comportement et des normes du patriotisme, pour la grande majorité des Grecs de l’époque.
La proximité de la mort est de nouveau examinée à son tour, car elle finit par accélérer mentalement et physiquement la “sortie” de la jeunesse, soumettant les conscrits et les jeunes officiers du moment à un processus de vieillesse prématurée, autant comme on sait traumatisant.
Répétons ici que notre étude incite à une réflexion qui tient à la fois de la recherche historique par l’utilisation correspondante des archives et des sources adéquates, que de l’anthropologie sociale, si l’on suppose que le matériel factuel est abordé si possible, en termes de terrain ethnographique. C’est la raison pour laquelle les témoignages personnels écrits, essentiellement directs de l’époque, lettres et journaux du front, constituent les éléments privilégiés de nos sources, sans pour autant ignorer l’importance des autres archives.
Monument aux morts pour la Patrie 1912-1922. Tríkala, 2024
En guise de conclusion, nous voulons croire que la présente étude conduit à une évaluation utile, émanant “de l’intérieur du fait combattant”, tant des événements nationaux, que géopolitiques du début du XXe siècle, à la lumière du quotidien vécu et pratiqué des appelés et des officiers de l’armée grecque du moment.
Les Grecs, massivement enrôlés durant les années 1917-1923, de par leurs expériences si directement consignées, complétaient ainsi le cycle, celui de la décennie de la guerre gréco-balkanique (1912-1922), ainsi qu’en même temps, celui du premier centenaire de l’État néo-hellénique (1821-1922), “libérant” des souvenirs mais autant parfois leurs “postures accablées” quant au vécu, ce qui indique depuis et parfois, tout le laborieux parcours national des Grecs, y compris pendant notre piètre temps présent, un siècle après 1922.
En dépit de la distance historique avec les événements, et comme l’intégralité des archives de ce type n’est pas encore exploitée, nous pensons qu’en combinaison avec des tentatives ciblées et parallèles pour ce qui est de l’historiographie diplomatique, politique et militaire de la période, nous parviendrons à une connaissance mieux approfondie de cette “synchronie du passé” si cruciale depuis, en tout cas pour l’avenir de l’hellénisme.
Espérons-le en tout cas.
Ceux… de ma famille qui m’ont entouré. En mer Égée, 2016
* Photo de couverture: La vie quotidienne des soldats grecs. Asie Mineure, 1922. Source: Musée de la Guerre à Athènes