Archéologie Locale


Les visiteurs de la Thessalie traversent le plus souvent cette région le temps d’une journée, rien que pour se rendre aux Météores. D’après l’actuelle littérature de voyage, cela se comprend, étant donné que “le site des Météores est un incontournable de la Grèce continentale. Les monastères sont perchés sur des pics rocheux, dans un décor majestueux”.

Rocade à deux fois deux voies. Vers les Météores, avril 2024

Il faut rappeler que la vieille route conduisant aux Météores, à peine asphaltée en 1940, fut d’abord remplacée par une rocade à deux fois deux voies dans les années 1990 et depuis mai 2024, elle est en plus doublée de la nouvelle autoroute, directe et sans discontinuité, précisons-le, depuis Athènes. Circulez… il n’y a rien d’autre à voir! Ce qui n’est naturellement guère vrai.

Le malentendu thessalien n’est pas nouveau. Déjà en 1965, le géographe Michel Sivignon notait que “la Thessalie a mauvaise réputation. Les voyageurs qui depuis plus de deux siècles font le pèlerinage de la Grèce pestent contre la boue ou la poussière, contre le gîte qu’ils trouvent trop sommaire, désagréments qu’ils sont prêts à pardonner aux régions où quelque ruine antique peut les consoler. Les touristes modernes traversent à la hâte ces lieux dépourvus du pittoresque qu’ils ont coutume de consommer”.

Route d’époque. Vers les Météores, 1941

La littérature géographique, pour maigre qu’elle soit, n’est pas plus tendre pour le pays, et insiste sur l’aspect minable des bourgades et le dénuement des habitants, volontiers comparé à celui des… Noirs des cases soudanaises. Cette réputation n’est plus tellement justifiée, ou du moins le jugement mérite quelque nuance, car en dépit de sa platitude, la plaine thessalienne n’est point une région si uniforme, ni dans les caractéristiques physiques de ses sols, ni dans leur aménagement par l’homme”.

Cette réputation n’est certes pas justifiée, déjà si l’on tient compte des sites archéologiques de la région… ceux que l’on découvre à vrai dire bien tardivement et plutôt même, laborieusement. Car il faut préciser que la Vieille Grèce, ce premier pays libéré des Ottomans dans ses frontières de 1831 allant du Péloponnèse à la Grèce Centrale, n’a incorporé la Thessalie qu’en 1881, puis l’Épire, la Macédoine et la Thrace bien plus tard, entre 1912 et 1923.

Le site de l’ancienne Pélinna. Avril 2024

C’est là une des raisons essentielles, pour laquelle les grands sites antiques tels qu’Olympie, Épidaure, Mycènes ou Delphes, en passant par l’incontournable Acropole d’Athènes, ont largement incarné depuis ; très exactement, ce que l’imaginaire des voyageurs occidentaux et autant des élites de la capitale amenait à contempler. Ceci bien entendu en matière de voyage et de dépaysement, fouilles alors comprises.

Plus au nord, les Nouveaux Pays grecs pouvaient sinon attendre, dont évidemment la Thessalie. Les fouilles y ont été souvent sommaires, rapides… ayant valeur de sondage, et parfois même tout simplement, elles n’ont jamais été entreprises. Sauf que cette situation est enfin en train de changer, et c’est ce que nous avons voulu vérifier sur place.

Berger des lieux. Pélinna, avril 2024

Cela tient d’ailleurs autant de notre… mission, car voilà que cette Thessalie centrale que je fais découvrir aux voyageurs de “Grèce Autrement”, région d’emblée largement ignorée des touristes, n’en finit pas de surprendre, y compris même les archéologues.

Tel par exemple sur le site de l’ancienne Pélinna… à 15 kilomètres de la ville de Tríkala, bien en amont des célèbres Météores. Déjà, on y a retrouvé un imposant portique par lequel Alexandre le Grand est passé, ouvrage aux dimensions énormes ayant été mis au jour lors des fouilles archéologiques des dernières années ! Ce n’est pas rien, pour commencer.

Fouilles en cours. Pélinna, avril 2024

Pélinna ou Pelinnaíon était une cité importante, appartenant à la Tétrade ou Tétrarchie de la région d’Estiaiótida en Thessalie Occidentale, située sur la rive gauche de la rivière Piniós, entre Tríkki, la ville actuelle de Tríkala, et Farkadóna sur la route vers Lárissa. Depuis sa position stratégique, on contrôlait les cols entre Tríkki et Lárissa, de même qu’à proximité du confluent de Lithéos et de Piniós, cette cité dominait également les eaux de la plaine!

D’après les sources antiques, Pélinna était dotée de plusieurs sanctuaires, en l’honneur de Zeus, d’Athéna ainsi que de Mandó, la Sibylle Thessalienne, cette dernière était d’ailleurs représentée au revers des pièces de monnaie de la cité, datant du 3ème siècle av. J.-C.

Enceintes sur l’acropole. Pélinna, avril 2024

Il demeure évident qu’une partie importante de l’histoire de la région reste encore enfouie à Pélinna comme ailleurs, et de nombreux secrets attendent leur tour pour être révélés. Certes, à l’image de Delphes lors des fouilles d’il y a plus d’un siècle, en visite en ces lieux actuellement, comme à Pélinna, on peut d’entrée de jeu rencontrer parfois les bergers du coin, leurs camionnettes et surtout, leurs troupeaux de moutons et de chèvres. En plus des archéologues, naturellement.

C’est ainsi que les fouilles archéologiques en cours depuis deux ans… dans un milieu autant naturel que bucolique, y ont permis d’identifier un deuxième grand bâtiment et d’étonnantes mosaïques.

Des travaux supplémentaires et des investigations approfondies seront menés pour découvrir ce qui se cache précisément sous l’impressionnante mosaïque mise au jour. La prochaine étape de la recherche archéologique consistera à identifier l’emplacement le théâtre antique, lequel demeure pour l’instant… introuvable.

La doline. Pélinna, avril 2024

Ce qui encore permet à nous, visiteurs que de rêver, d’extrapoler, d’imaginer même que tel emplacement en ces lieux serait alors susceptible d’être celui du théâtre de la cité. Mais déjà, on y découvre les remparts, la forteresse et même un puits antique, lequel est toujours utilisé par les bergers du coin. Usages ainsi inaltérables.

Pélinna est sans doute un site émouvant, certes en pleine transformation, et aux visiteurs il faut dire, bien rares. Je me souviens à ce propos que Maître Vassílios, notre professeur de Lettres classiques au 4ème lycée de Tríkala nous avait déjà introduit en la matière, dès 1981. “Pélinna fut une cité importante, sauf que presque tout, reste à découvrir. Allez pourtant visiter le site avec vos parents, puis un jour quand peut-être je ne serais plus de ce monde, vous apprendrez que les fouilles auront enfin sérieusement commencé”. Oui, les fouilles ont bel et bien commencé et notre professeur de Lettres classiques à présent très âgé, doit même s’en féliciter.

Puits antique. Pélinna, avril 2024

Nous savions donc également, que la position de Pélinna avait été affectée par les bouleversements géologiques, d’où d’ailleurs son autre appellation locale, Voúla, c’est-à-dire “la submergée”. Car le site est situé au confluent des rivières susmentionnées et d’un grand gouffre, une doline, trou béant à ciel ouvert, méritant bien de respect et autant les nombreux… pèlerinages au fil des siècles, si l’on croit ce que la tradition populaire locale encore vivante il y a près de quarante ans, a pu nous léguer.

Et pour ce qui tient des mythes antiques, on croit savoir que depuis ces temps immémoriaux, le roi éleveur de chevaux Pélias, celui du mont Pélion et des Argonautes, serait également lié à la destinée préliminaire de la cité de Pélinna et de ses premiers habitants. D’ailleurs le village actuel le plus proche de Pélinna, porte le nom très ancien de Petróporo, dénomination et alors terme dont la racine est issue du monde pré-mycénien.

Enceintes sous l’acropole. Pélinna, avril 2024

D’après une autre tradition mythologique, Pélinna fut fondée par Pélinnos, fils d’Oichálios, de la cité d’Eurytos et petit-fils d’Apollon, dans la région du berceau primordial des Hellènes, à Sperchiáda, là où se trouvait également la ville de l’Hellás. La première mention de Pélinna est faite par Pindare, lequel la mentionne comme étant la ville natale d’Hippoclée, vainqueur aux jeux Pythiques en 498 av. J.-C., s’agissant d’importants jeux panhelléniques, tenus tous les quatre ans à Delphes, en l’honneur d’Apollon, lequel, selon la légende, les aurait fondés pour célébrer sa victoire sur le serpent Python.

Puis bien plus tard car au-delà des mythes, une garnison macédonienne permanente y fut établie sous le règne de Philippe II. Son fils, Alexandre le Grand, séjourna en cette cité pro-macédonienne avant son expédition en Béotie, quand il triompha d’une coalition réunissant Athènes et Thèbes à la bataille de Chéronée, en 338 av. J.-C.

Enceintes sous l’acropole. Pélinna, avril 2024

Pélinna demeurera par la suite une cité importante durant les guerres romaines, mais on ne sait pas avec exactitude quand elle a été détruite ! Son acropole, aujourd’hui en partie découverte sur un périmètre de muraille de 2,5 km dotée d’un système de murs polygonaux, ayant d’ailleurs servi jusqu’aux reconstructions de l’époque byzantine.

Plus de quinze tours rectangulaires, un bastion et trois portes sont alors conservés. Des fondations d’immeubles, un édifice public, des puits, sont entre autres préservés de cette importante cité antique. Des idoles du culte d’Asclépios de Thessalie et du culte dionysiaque y ont été également récupérées.

Enceintes sous l’acropole. Pélinna, avril 2024

Grâce aux sources historiques ainsi que par la recherche archéologique de terrain, on peut établir qu’à Pélinna, les mystères bacchiques-orphiques s’y tenaient régulièrement, jusqu’au IIIe siècle av. J.-C. En témoignent les offrandes des sarcophages, dont une civière en bois et les os d’un enfant dans un contenant en cuivre.

Puis, on a découvert la tombe d’une femme, la défunte était accompagnée de vases en argile, d’une couronne d’or, d’une paire de ceintures en or et de deux feuillets dorés en forme de cœur avec un texte gravé issu des écritures orphiques, tout comme d’une référence claire, faite en ce dieu de Thrace.

Berger des lieux. Pélinna, avril 2024

Enfin, les archéologues ont longuement commenté l’existence dans cette tombe, de deux œufs posés face à face, symbole comme on sait orphique d’immortalité et source de vie, ce qui explique alors pourquoi Alexandre le Grand, ce fils d’Olympias, au demeurant grande prêtresse au sanctuaire des Grands Dieux de Samothrace, a effectué son passage obligé par Pélinna!

Car Alexandre, n’a guère suivi une route aléatoire, mais plutôt un chemin strictement prédéterminé, tel que lui avait été tracé par ce haut-lieu national macédonien, à savoir justement, le sanctuaire de Samothrace.

Car on sait qu’entre les mythes, le sacré, le profane et d’ailleurs également la géopolitique du moment, quand déjà le sanctuaire de Delphes indiquait aux puissantes l’ordre du passage par les cités qui leur étaient soumises ou sinon acquises par le jeu des alliances et des guerres dans la partie sud de l’Hellade, en parallèle les grands sanctuaires du nord, Dodóni en Épire ou alors Samothrace en mer Égée, faisaient de même dans la partie nord de l’Hellade, la Thessalie donc comprise. D’où le passage motivé d’Alexandre le Grand par ces lieux, et d’abord à Pélinna.

Pont détruit. Thessalie, avril 2024

Cependant, vu l’urgence des apories actuelles dont fait preuve la Grèce contemporaine et certes plus terre-à-terre dans un sens, nos archéologues à Pélinna, se battent comme on sait pour de causes bien plus élémentaires et néanmoins importantes. Le nettoyage des murailles, leur aménagement, la sécurisation des accès, le tracé des itinéraires pédestres, la création d’un parking, l’éclairage électrique, entre autres. Ce sont comme on aime dire du côté des élus locaux et régionaux, “des projets importants pour le développement de la région !

Mais en attendant, tout autour, nombreux sont par exemple les ponts en Thessalie encore détruits et non réparés, suite aux pluies diluviennes et aux inondations de septembre 2023. Le pays reste cependant paisible, à l’image du jeune berger sur le site de Pélinna, assis devant ses moutons… entièrement absorbé par son smartphone.

La place centrale. Tríkala, avril 2024

Et en ville de Tríkala, cela fait plus d’un an que la place centrale est en travaux, sauf que cette Grèce demeure alors vivante et alors typique, autrement-dit, ne vivant pas du tourisme. Et pour ne rien laisser au hasard, à l’image je dirais de notre professeur de Lettres classiques au 4ème lycée de Tríkala il y a déjà un moment, j’ai eu l’occasion de présenter aux lycéens actuels en ces lieux, ce que doit signifier l’amour et la responsabilité envers nos animaux.

Une introduction en la matière à l’occasion de la journée dédiée aux animaux adespotes – ceux qui n’ont pas de maître, sous le patronage du service vétérinaire relavant de l’administration régionale de Thessalie.

Ma prestation devant les lycéens. District de Tríkala, avril 2024

Cela m’a amené aux inaltérables souvenirs de mes années d’enseignant en France, sauf que pour une fois, le… face-à-face pédagogique n’a duré qu’une journée.

Et sur la nouvelle rocade bien en face du lycée, les visiteurs de la Thessalie s’empressaient toujours… de traverser notre région, rien que pour se rendre aux Météores… le temps d’une journée. C’est bien connu, le malentendu thessalien n’est guère nouveau.

Nos animaux. Péloponnèse, avril 2024

* Photo de couverture: Enceintes sur l’acropole. Pélinna, avril 2024



Comment trouvez-vous cette publication ?

Cliquez sur une étoile pour la noter !

Note moyenne 0 / 5. Nombre de voix : 0

Aucun vote pour l'instant ! Soyez le premier à noter cet article.

Puisque vous avez apprécié cet article...

Suivez-nous aussi sur les réseaux sociaux !

Vraiment désolés de votre appréciation.

Améliorons ce post !

Dites-nous comment nous pouvons améliorer ce post.